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Les rendez-vous de la mondialisation

Mondialisation

Dossier n°19 - Mondialisation et nouvelles organisations internationales

01/08/10

 

La récente crise économique et financière a constitué, dans le domaine des relations internationales, un accélérateur, bouleversant les anciens équilibres fondés suivant Pascal Lamy  sur un triangle entre l’universalité (les Nations Unies), les agences spécialisées (les institutions de  Bretton Wood), et, enfin, la « diplomatie de clubs ». La crise a déjà fortement affecté la géométrie de ce triangle. Les relations  entre les organisations internationales (FMI, ONU, nouvelle enceinte du G20) évolueront-elles vers la complémentarité ou se figeront-elles dans le cloisonnement et la rivalité ? C’est l’avenir du multilatéralisme qui est plus globalement en question, avec en perspective à court terme la présidence  française du G8 et du G20 en 2011

QUEL CHEMIN PARCOURU ET QUELLES PERSPECTIVES POUR LA GOUVERNANCE MONDIALE ? 

La gouvernance mondiale existe déjà avec ce que cela suppose de mécanismes sophistiqués de régulation globale. Le malaise ambiant vient selon Bertrand Badie d’une  vision des relations internationales figée sur  un mode westphalien, luimême basé sur le concept de souveraineté, comme si rien n’avait changé. La mondialisation se caractérise d’abord par le principe d’interdépendance et se conjugue sur le mode del’échange, tandis que les relations internationales restent régies par le principe de territorialité et une « grammaire de la fixité ». Il en résulte un décalage entre les sociétés et leurs Etats, enjeu d’une réinvention des relations internationales. Le « diplomate et le soldat ne sont plus au centre » d’un jeu dessiné en trois temps par Bertrand Badie. Il y eut d’abord le temps de la concertation où les plus forts se réunissaient pour œuvrer utilement à la résolution des grands problèmes mondiaux. Les petits étaient bien obligés de suivre selon le principe énoncé par le chancelier Metternich au 19ème siècle. 

Puis vint l’âge du multilatéralisme, partagé entre l’institutionnalisme libéral inspiré de la doctrine du Président Wilson et la théorie du solidarisme malheureusement trop oubliée, conceptualisée notamment par Léon Bourgeois (dès 1907) et Aristide Briand. Le premier voyait dans l’existence d’institutions garantissant les échanges le gage d’une paix civile au niveau mondial. Le second annonçait l’émergence d’une opinion publique internationale comme de besoins de dimension internationale à satisfaire en priorité. Mais avec l’abandon de la dimension sociale et sous l’influence du Président Roosevelt, le multilatéralisme a en quelque sorte régressé en privilégiant à nouveau la concertation entre oligarques à travers le format envisagé pour le nouveau Conseil de sécurité. De ce fait, la base du système onusien renvoie principalement à la défense des intérêts des riches et des puissants. Le troisième temps s’est imposé avec les premiers signaux de crise au début des années 1970. Est alors mis en avant le besoin de gouvernance, concept hérité des sciences de la gestion et du management, assorti de la notion de biens publics mondiaux. Cela suppose, élément supplémentaire de complexité, une association des acteurs publics et des acteurs privés. La gouvernance, inclusive par nature, s’est heurtée rapidement à la renaissance de « l’oligarchie » qui va prendre les formes successives du G6 (1975), du G7 puis du G8mettant fin à la bipolarité. Le G8 se saisissant des questions politiques va devoir s’ouvrir aux pays du sud. Bertrand Badie voit dans les « mutations empiriques » engendrées par la crise asiatique de 1997 et la crise financière globale de 2008 les signes annonciateurs de la création d’un G20 au niveau des chefs d’Etat. Mais si le G20 rassemble 90% du PIB mondial, il ne représente qu’« 1% de la conflictualité mondiale ». Dans ces conditions, quels sont les critères de représentativité efficaces ? Persiste de plus la « tentation du minilatéralisme » où l’on se réunit entre soi, en petit comité. Il y a ici une double reconstruction entre les «parvenus » (les pays émergents pas forcément parmi les plus démocratiques) et les« aristocrates »(essentiellement les vieilles démocraties européennes), avec à la clé nombre de frustrations. 

Le « minilatéralisme » est-il toujours suffisamment légitime pour s’imposer au plus faible ? 

Enfin, le multilatéralisme peut-il rester seulement politique ? Face au nombre de victimes qui souffrent toujours de la faim dans le monde, c’est la sécurité humaine qui est au centre de tout. Seule une approche sociale peut venir à bout des conflits mondiaux d’aujourd’hui : voilà un nouveau défi pour les organisations internationales. Pourront-elles le relever ? 

G20 : QUELLES POSSIBILITES DE COORDINATION DES POLITIQUES ECONOMIQUES MONDIALES ? 

Signalant d’emblée pour le déplorer que les communiqués des G20 successifs ont réussi, en 18 mois, à dépasser en technicité ceux du FMI, Pierre Duquesne décline un abécédaire pour tracer le périmètre du « premier Forum pour la coopération économique internationale ». 

« A » comme « Activité » : c’est la nécessité de clarifier si l’objectif final est la gestion de crise ou la stratégie de régulation. Les gouvernements face à une crise sont toujours tentés, plutôt que de s’attaquer à réformer l’existant, de créer des instances informelles censées favoriser davantage la réactivité et l’innovation. Il en résulte le plus souvent, et le danger est là, un empilement des structures (pour preuve le G5 existe toujours). 

Celles-ci sont condamnées, à un moment donné, àse tourner vers les institutions existantes ou à créer leur propre secrétariat si elles veulent survivre. Le G20 sera incapable d’échapper à ces travers. Il se consacre à des questions financières si pointues qu’il n’est pas impossible que certains de ceux qui y ont assisté n’aient pas toujours totalement saisis de quoi il retournait.lI en vient à traiter trop légèrement des sujets globaux. Cela jette un doute sur sa capacité à agir en « période de vitesse de croisière » et non de crise. La question de la régulation globale relève davantage des organisations classiques plus correctement outillées. Les pays émergents s’opposent certes à toute « dérive » du G20 vers les questions plus politiques, mais cette évolution semble quasi inévitable.  

« B » comme « But : cela renvoie à l’arbitrage entre légitimité et efficacité. Si le G20 a fait le choix de la première, la question de l’efficacité ne tardera à se poser avec acuité : faut-il collaborer ou remettre en cause les organisations classiques ? L’existence du G20 condamne inévitablement un G8 obsolète sur de nombreux points, car mal dimensionné et trop bureaucratique pour Pierre Duquesne. Une enceinte comme celle du G7 n’en paraît que plus pertinente, notamment quand on parle de développement, à condition d’intégrer la Chine à ces discussions.  

« C » comme « Cohérence » qui s’impose sur le plan de la mise en œuvre car il ne faut pas oublier que le G20 ne dispose que d’un secrétariat minimal et n’a pas d’autre choix que de compter sur les institutions de Bretton Woods pour espérer voir ses préconisations devenir des réalités. Or G20 et institutions de  Bretton Woods fonctionnent de manière différente : au G20 il y a un consensus au cours de quelques réunions par an tandis que le mécanisme censitaire régit les institutions de Bretton Woods, dont les conseils d’administration, à 24, se réunissent deux fois par semaine. Comment articuler ces différentes méthodes ? Pierre Duquesne prédit une forte résistance, impulsée par les pays émergents au sein des Nations unies envers toute velléité du G20 de remplacer ce « G192 ».  

« D » comme « Délaissés », ces pays pauvres non intégrés au G20 ou comme certaines institutions clés comme la Banque des Règlements Internationaux (BRI) mise en place après la Première Guerre mondiale, dont l’influence est pourtantcroissante (cf Comité de Bâle). Le G20 signe également l’échec d’une « Europe » (« E ») déjà peu présente dans la gestion de crise, même si le G20 compte aujourd’hui davantage de représentants européens. Le rythme de réunion adopté est en tout cas « insoutenable » selon Pierre Duquesne, qui met en exergue la question du « Format » (« F ») avec la possible déclinaison en conférences interministérielles. Ce schéma est peu opérationnel si on se réfère à ce qui se passe au G7. Le dernier G20 de Toronto a montré combien le G7 restait le « centre de gravité » (« G ») sur les deux sujets majeurs, politique budgétaire et taxation financière. Les pays émergents ne sont pas forcément plus « audacieux » dans leur attitude envers les Etats-Unis et leur influence est amoindrie par le fait qu’ils ne constituent pas un groupe organisé. 

Enfin, selon Pierre Duquesne, la référence à l’effacement de la dette de « Haïti » (« H ») dans les conclusions du G20 de Toronto semble déplacée, ce sujet étant traité dans d’autres instances. 

FMI : QUELLE REFORME POSSIBLE ? 

Lorsque Dominique Strauss-Kahn a été nommé à la tête du Fonds monétaire international (FMI), cette institution semblait avoir largement perdu de son utilité : suite à la crise asiatique de 1997-1998, de nombreux pays émergents, et pas seulement en Asie, avaient viré de bord en matière de politique macroéconomique et choisi d’accumuler des réserves de manière à ne plus jamais dépendre du Fonds dont l’intervention en Asie avait été ressentie comme inadaptée, voire humiliante. 

Jacques Le Cacheux retrace l’évolution d’un FMI se consacrant d’abord, jusqu’à la fin des années 70, à la surveillance macroéconomique du système monétaire international. Devenu un « club des riches » il assurait la bonne gestion d’un système de change fixe dominé par les Etats-Unis. 
Progressivement, au vu de la montée de l’endettement et des crises (Mexique puis Amérique Latine) il s’est transformé en « gendarme des pauvres » préservant les intérêts des créanciers, les banques commerciales américaines en premier lieu. Il a alors appliqué plusieurs « recettes » au nom d’un « Consensus de Washington » préconisant la réduction des dépenses et du secteur public, des réformes structurelles, une diminution de la demande intérieure. Après la crise asiatique il a connu une période de purgatoire. 

Le contexte récent s’est transformé au gré des réunions du G20. A Londres en avril 2009 une très forte augmentation des moyens du FMI a été entérinée, amorce de son retour en grâce. 

Paradoxalement, alors qu’il demeure dans ses statuts une organisation multilatérale, le FMI est en ce moment surtout le prêteur en dernier ressort des seuls pays européens, de  par son intervention en Hongrie, en Lettonie et en Grèce, ainsi que dans le schéma du Fonds européen de stabilisation financière. Il est redevenu le « pompier des riches ». 

Les pays européens peuvent voir dans cette situation un avantage politique, celui de détourner la responsabilité des interventions vers « les méchants du FMI ». 
La doctrine du FMI a évolué depuis le début de la crise. Le Fonds a tout de suite appelé à une politique vigoureuse de relance notamment budgétaire. La BRI paraît à priori plus légitime pour ce qui concerne la régulation financière qu’un FMI n’ayant pas véritablement fait la preuve de son expertise, faute d’implication dans la crise des subprimes  par exemple. Le Comité de Bâle fonctionnant sur le modèle d’un « club de banques centrales » paraît lui aussi plus pertinent. Le problème de la légitimité globale est déterminant pour le FMI selon Jacques Le Cacheux. Certains grands pays émergents et notamment la Chine y sont sous- représentés, à l’inverse des pays européens. Les Etats-Unis soutenus par l’Europe disposent aujourd’hui d’une majorité au Conseil d’administration du FMI et constituent à eux seuls une minorité de blocage dans cette instance. Toutes les questions renvoyant aux grands équilibres macroéconomiques et à la régulation financière s’en trouvent fortement hypothéquées. 

ONU : LA REFORME IMPOSSIBLE ? 

La réforme des Nations Unies est un sujet à la mode depuis que l’institution existe. Mais la seule véritable  éforme a été l’élargissement du Conseil de sécurité en 1963. Depuis seuls ont été réalisés des ajustements à la marge.  Un passage en revue des différentes structures des Nations Unies permet d’identifier non pas tant les réformes que les ajustements possibles et raisonnables, au vu d’une Assemblée générale qui ne pourra à elle seule, selon Alain Dejammet, organiser l’économie mondiale : - La Cour internationale de Justice fonctionne bien. La seule réforme envisageable tiendrait dans la possibilité de saisine de la Cour non seulement par les seuls Etats membres, mais aussi par le Secrétaire général, ce qui pourrait s’avérer utile en temps de crise .
 - L’Assemblée générale ou « G192 » a certes organisé une réunion extraordinaire pour traiter de la crise financière mais sans aucun résultat. Cela ne doit pas faire oublier qu’elle forme une caisse de résonance, permettant de « prendre le pouls » de l’opinion publique en renvoyant à une certaine forme de société civile. Le Conseil de sécurité n’aurait pu susciter le mouvement de décolonisation sans une Assemblée générant réunions et sommets où les Chefs d’Etat et de gouvernement sont bien présents quoi qu’ils en disent par ailleurs. Le fait de chercher un consensus n’est qu’une pratique destinée à donner plus de poids à ses résolutions. 
L’Assemblée a l’avantage de ne pas fonctionner sur le principe sur l’unanimité . 

- Le Secrétariat général des Nations Unies se distingue par un cabinet de dimension réduite. Cela a permis à tous les titulaires du poste, sauf peut-être le dernier d’incarner une forme d’indépendance. Seul changement à envisager peut-être, interdire au Secrétaire général de se représenter .
- C’est le Conseil économique et social  complètement méconnu depuis que ses membres sont passés de 28 à 54 qui aurait surtout besoin d’une réforme ne reçoit plus la visite d’aucun ministre (alors qu’il avait géré les débuts de la mondialisation). Le G20 n’est pas une instance démocratique et viable selon Alain Dejammet qui relève la sous représentation des pays africains. Il serait dès lors bienvenu que les Chefs d’Etat et de gouvernements du G20 amorcent un rapprochement avec le Conseil économique et social. Cela éviterait, au prix d’une « combinaison raisonnable », les reproches déjà exprimés des pays émergents et en développement . 

- A l’opposé du cas de figure précédent, toutes les propositions de réforme pour le Conseil de sécurité s’accordent sur son nécessaire élargissement au-delà de 15 membres. La structure d’aujourd’hui fonctionne pourtant convenablement au quotidien, l’avis de chacun étant pris en compte sans cacophonie contrairement à ce qui passe dans l’Union européenne à 27. La difficulté vient de ce que tous les Etats veulent avoir des représentants permanents. Pire, ils veillent surtout à ce que leurs voisins ne disposent pas de membres permanents (cf. Chili versus Paraguay ou Inde versus Pakistan). 

Il faut élargir le cercle, jusqu’à 20 membres au plus. Une réforme simple consisterait à rendre, après chaque « tour » des pays au Conseil, leur réélection immédiate possible. Les Chefs d’Etat n’ont pas pour autant perdu leur attirance pour le G7. Cela va à l’encontre de la doctrine française qui des années durant s’est opposée à tout « political directory ». Dans les faits le G7 ne s’est pas cantonné aux dossiers économiques et cette situation va perdurer. Les Chefs d’Etat préfèrent de loin traiter des problèmes politiques que s’atteler à d’arides discussions purement économiques. On s’achemine vers une cohabitation G20/G8-G7, illustrant deux conceptions des relations internationales : la « famille » ou le « club » où l’on se coopte, et la démocratie fondée sur l’élection. 

 


 (1) Ce dossier a été rédigé sur la base des analyses présentées lors du 19ème Rendez-vous de la mondialisation du 7 juillet 2010, par Bertrand Badie, professeur en science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et enseignant chercheur au CERI, Pierre Duquesne, ambassadeur chargé des questions économiques de reconstruction et de développement, Jacques Le Cacheux, directeur des études à l’Observatoire Français des Conjonctures économiques (OFCE) et Alain Dejammet, ancien ambassadeur aux Nations Unies. MM Duquesne et Dejammet se sont exprimés à titre personnel. Ce  Rendez-vous a été rendu possible par une collaboration avec la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGM) du Ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE). Il a été co-animé par Pierre-François Mourier, directeur général adjoint du Centre d’analyse stratégique et Paul-Bertrand Barets, sous-directeur des affaires internationales de la DGM-MAEE

 

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