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Les rendez-vous de la mondialisation

Mondialisation

Dossier n°14 - Quels défis pour l’agriculture mondialisée ?

01/07/09

Á l’horizon 2050, l’agriculture mondiale devra nourrir neuf milliards d’hommes, au lieu de six milliards actuellement, et respecter l’environnement en protégeant les ressources naturelles et en intégrant la raréfaction des énergies fossiles.Relever ces défis donne forme à une question complexe qui met en jeu de nombreux acteurs et des facteurs de nature agronomique, écologique, technique, économique, sociologique, culturelle ou géopolitique. Sera-t-il possible de relever ce défi alimentaire dans un contexte de développement durable ? 

Le coup d’envoi de la libéralisation des échanges agricoles a été donné en 1994 avec l’entrée de l’agriculture dans le cadre général du commerce multilatéral. Ce secteur stratégique est néanmoins resté soumis à la régulation étatique et demeure aujourd’hui un facteur de blocage au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La Politique agricole commune (PAC) a pu conduire à la concurrence des productions locales des pays en développement, par le biais d’exportations européennes subventionnées. Elle a ainsi pu peser négativement sur les cours mondiaux. Alors que l’évolution de l’agriculture et l’apparition de nouveaux entrants imposent une réforme au-delà de 2013, quels seraient les réorientations possibles de la PAC et ses éventuels impacts sur les pays hors de l’Union européenne ? 

Les matières premières, notamment agricoles, se distinguent des autres secteurs par une très forte volatilité des prix, dont la formation et la cyclicité sont encore difficiles à identifier. La libéralisation du commerce des produits agricoles ne semblant pas conduire automatiquement à une stabilisation des prix, la recherche d’une régulation efficace semble de rigueur.  Dans de nombreuses régions, les terres fertiles régressent sous l’effet de la croissance démographique, de l’avancée du désert, de l’érosion ou de l’épuisement des sols. On assiste de surcroît à une forte augmentation de l’intérêt commercial pour les terres agricoles au niveau mondial.

Y a-t-il de réelles pressions sur le foncier agricole ?

IL EST POSSIBLE DE NOURRIR LA PLANÈTE DE FAÇON DURABLE EN 2050  

Selon Sébastien Treyer, trois facteurs ont conduit à la mise en place d’un outil de réflexion prospective sur les enjeux alimentaires et agricoles. Tout d’abord, les rendements agricoles ont commencé à stagner après la révolution verte, dans un contexte de forte dégradation de l’environnement et de dépendance accrue aux énergies fossiles. Ensuite, la population à nourrir augmentera d’un tiers d’ici 2050. Enfin, les régimes alimentaires continueront d’évoluer, tant en termes d’apport calorique total que de part des produits carnés. La question de la sécurité alimentaire se pose ainsi à plusieurs niveaux. La planète peut-elle produire assez pour nourrir l’humanité ? La production agricole permettra-telle d’assurer un développement et des revenus suffisants pour que les populations pauvres, rurales et urbaines, puissent s’approvisionner sur  les marchés alimentaires ?                                                      

Dans cette perspective, l’INRA et le CIRAD ont développé depuis 2006 l’exercice Agrimonde. Sa double originalité repose, d’une part, sur l’association interactive des approches quantitative (Agrobiom) et qualitative (scénarios), d’autre part, sur la collaboration d’un large collectif de recherche et de réflexion. Agrobiom est basé sur la construction de bilans ressources-emplois en équivalent calories végétales par grande région du monde pour cinq catégories de produits (végétal, animal ruminant et monogastrique, aquatique : eau douce et eau marine).  

À partir de l’étude quantitative rétrospective sur quarante ans, des scénarios qualitatifs d’évolution à l’horizon 2050 sont élaborés par grande région, en se fondant sur les projections médianes d’emploi de l’ONU, avec l’hypothèse centrale de 3 000 kilocalories par habitant et par jour et en intégrant l’impact du changement climatique. Ces scénarios qualitatifs posent les hypothèses de calcul permettant de définir les équilibres des emplois et des ressources de biomasse par grande région et pour la planète. Sébastien Treyer explique que pour réaliser cette exploration prospective deux scénarios ont été construits. Agrimonde 1 est un scénario possible d’agricultures et d’alimentations durables. Ce scénario suppose non seulement le rééquilibrage des apports nutritionnels mondiaux, mais également des agricultures respectueuses de l’environnement en dépit des besoins croissants de production et de l’impératif de développement. 

Agrimonde Global Orchestration (Agrimonde GO) est le plus performant des scénarios de l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire EM)

 Il est construit sur des hypothèses de progrès techniques très rapides, de libéralisation des échanges ainsi que de réactivité très forte dans la gestion des écosystèmes. Les deux scénarios montrent qu’il est possible de nourrir la planète de manière durable à l’horizon 2050. Trois régions doivent cependant importer des calories alimentaires (Afrique du Nord- Moyen Orient, Afrique sub-saharienne, Asie), et les échanges minimums inter-régions augmentent fortement entre 2000 et 2050.Dans Agrimonde 1, les déficits et surplus agricoles régionaux ainsi que les échanges minimums inter-régions sont plus importants que dans Agrimonde GO. Ces scénarios supposent toutefois de relever six grands défis : réussir le développement agricole et rural dans les régions à déficit agricole, accélérer l’innovation technologique et sa diffusion, améliorer la gestion des ressources naturelles, instaurer une politique de durabilité sociale, changer les comportements alimentaires et, enfin, mettre en place des gouvernances interrégionales s’appuyant sur des aides massives au développement et sur des régulations efficaces permettant d’éviter les distorsions de prix et de révéler les coûts environnementaux. 

LA PAC POST-2013 DEVRAIT ÊTRE MOINS PROTECTRICE POUR LES AGRICULTEURS DE L'UNION EUROPÉENNE  

Hervé Guyomard rappelle que la PAC a été mise en place au début des années 1960 pour encourager la production et la productivité, soutenir les revenus agricoles et assurer les approvisionnements des pays européens à un coût raisonnable. Elle s’est traduite par une politique de substitution aux importations, assortie d’une garantie des prix, hétérogène selon les produits, ayant pour corollaire des droits de douane à l’importation et des subventions à l’exportation. Cette politique a permis à l’Europe d’enregistrer une forte croissance de sa production agricole, passant d’un déficit à un excédent de produits agricoles dits de zone tempérée. Par ailleurs, la PAC a connu un processus continu de réformes depuis le début des années 1990 (1992, 1999, 2003, 2008-2009, etc.). Ceci s’est traduit par des mesures de contrôle de l’offre, la diminution progressive du soutien direct par les prix et la déconnexion graduelle des aides directes avec les productions (découplage des aides du pilier I). On assiste, en revanche, à la montée en puissance des aides ciblant une agriculture durable (pilier II : adaptation, environnement et développement rural). Cette catégorie d’aides est abondée par le transfert des ressources du pilier I vers le pilier II. Le cycle de négociations internationales de l’Uruguay Round a débouché sur une forte baisse des droits de douanes à l’importation des produits agricoles (– 36 %), sur la diminution du soutien par les prix et sur la baisse des subventions à l’exportation. La protection de l’Union européenne reste pourtant forte vis-à-vis des produits concurrents des productions domestiques, ce qui pénalise de nombreux pays exportateurs (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine, Brésil, Indonésie, Malaisie, Thaïlande). Les pays en développement apparaissent moins exposés à la protection européenne grâce à  différents dispositifs préférentiels (Système de préférences généralisées, Accords Afrique-Caraïbes-Pacifique -ACP, initiative « Tout sauf les armes » pour les pays les moins avancés - PMA, accords produits avantageux sur le sucre et la banane).

L’Union européenne est devenue le premier exportateur et importateur mondial de produits agricoles. Si elle constitue le premier débouché des pays en développement pour les produits agricoles, les importations en provenance de ces derniers sont composées en grande partie de produits tropicaux peu ou pas transformés. De plus, l’entrée des produits agricoles dans l’UE est soumise à de nombreux obstacles non tarifaires publics ou privés. Pour autant, l’impact de la PAC sur les pays en développement est-il faible ? 

Hervé Guyomard répond par l’affirmative en ce qui concerne la période actuelle, où les politiques de l’UE ont changé en direction de moindres protections externes et de diminution des aides en internes. Néanmoins, la PAC ne peut être dédouanée de ses responsabilités passées. En effet, la politique de subventions aux exportations européennes a contribué à décourager les exportations et à encourager les importations des pays tiers, notamment celles des pays en développement, dans un contexte de baisse des prix agricoles en termes réels (1960-1990). De surcroît, les régimes préférentiels accordés sur certains produits ont modifié les types de culture pratiqués. 

Nourrir la planète demain, dans un contexte de forte volatilité des prix à des niveaux qui pourraient être élevés, suppose une production et un stockage suffisants au niveau mondial. Dès lors comment sécuriser les investissements dans ce secteur ? Les PMA étant appelés à mettre du temps à adapter leur agriculture, il faudra aussi sécuriser les échanges tout en favorisant le développement des productions vivrières dans n cadre de développement durable. Concernant la PAC post-2013, les agriculteurs européens devront se préparer à moins de protection et à la concurrence d’autres pays développés ou émergents. Les soutiens devront être mieux légitimés et les modalités d’octroi de budgets agricoles seront liées en priorité à l’environnement, à la qualité et à la sécurité, à l’organisation des producteurs pour faire face à la concentration de la distribution et, surtout, à la stabilisation des revenus et des prix. 

COMMENT GÉRER L'INSTABILITÉ DES PRIX AGRICOLES ? 

Au vu des évènements récents (flambée des prix des végétaux en 2007, écroulement du prix du lait en 2009), on peut se demander si nous ne sommes pas entrés dans une phase durable d’instabilité des prix agricoles. Cette instabilité est doublement néfaste : pour les producteurs, qui voient leurs revenus fluctuer, mais aussi pour les consommateurs, notamment les plus pauvres, sur lesquels pèse un réel risque de pénurie alimentaire. La mondialisation est-elle coupable de cette instabilité ? Deux thèses s’affrontent à ce sujet, plaçant la mondialisation libérale comme régulatrice des fluctuations endogènes du marché (Féménia et Gohin), ou au contraire comme source de marchés chaotiques (Boussard). Il est certain, rappelle Jean-Pierre Butault, que ces fluctuations de prix ne sont pas nouvelles. Le phénomène nouveau est que cette instabilité touche aussi l’Europe, qui en était relativement protégée grâce à des prix de soutien à l’agriculture élevés ; générant par ailleurs des perturbations sur les marchés mondiaux (notamment sur le cours du sucre et du lait). De plus, il faut noter que la libéralisation des marchés agricoles est encore loin d’être réalisée, puisque l’application de l’Uruguay Round est limitée et qu’il demeure de fortes protections aux frontières européennes et américaines. Jean-Pierre Butault souligne que la flambée des prix en 2007 ne peut pas s’expliquer par un accroissement de la libéralisation. Une étude récente de Pluriagri-Inra montre, par ailleurs, qu’une large part des facteurs déclencheurs reste inexpliquée. Jean-Pierre Butault rappelle qu’il existe deux lois économiques expliquant l’instabilité des prix agricoles. La loi de King montre que la recette des agriculteurs est inversement proportionnelle à leur récolte, compte tenu de l’inélasticité de la demande de produits agricoles. Cette loi est vérifiée lors des situations de contraction de la demande (par exemple, le lait en 2009). La seconde loi, dite d’Ezekiel (cobweb), met en avant le caractère endogène des fluctuations des marchés agricoles, compte tenu de la durée des cycles de production et des anticipations des agriculteurs. Les solutions habituellement avancées pour réduire cette instabilité sont de trois ordres : le soutien par les prix, la création de quotas et la mise en place d’un système d’assurance. Mais aucune de ces trois solutions ne semble répondre efficacement à la volatilité. Les prix garantis agissent sur l’offre et génèrent des pertes de bien-être et des distorsions sur les marchés internationaux (cas de la première PAC). 

L’instauration de quotas permet de réduire l’incertitude des producteurs, mais risque de figer la situation globale, en créant un marché protectionniste de quotas généralisés. Un système d’assurance des rendements, des prix ou des recettes pose la question de la participation des fonds publics, et engendre des distorsions aussi importantes que le soutien par les prix. 

Quelle est alors la solution à inventer pour gérer cette volatilité des marchés agricoles ?
JeanPierre Butault affirme tout d’abord qu’il est nécessaire d’avoir une meilleure connaissance des causes de cette volatilité, ce qui impose une certaine prudence. Il est certain que les enjeux alimentaires de demain rendront nécessaire l’ouverture des marchés internationaux, mais que le recours à des instruments de protection dans certains pays en développement n’est pas nécessairement à proscrire. Comme des politiques nationales ou régionales non concertées au niveau international peuvent générer des perturbations importantes sur le plan international, il s’agira donc de travailler  a minima à une concertation entre les pays sur les politiques agricoles. On peut néanmoins aspirer à une régulation mondiale, accompagnée d’une « Banque alimentaire », qui fonctionnerait comme une Banque centrale, afin d’avoir une véritable politique agricole globale susceptible de résorber la volatilité des prix agricoles et les pénuries. 

LES ENJEUX DU FONCIER AGRICOLE 

L’une des façons d’aborder une telle thématique est peut-être, si l’on suit Laurence Roudart, de se demander si les terres cultivables peuvent être considérées comme des ressources rares à l’échelle globale. Répondre à une telle question, qui croise la problématique prospectiviste, implique la prise en compte de différents éléments.

Quelques chiffres tout d’abord. On constate qu’un tiers des terres émergées sont recouvertes par des forêts ; moins de 1 % des terres émergées sont occupées par des infrastructures de transports et urbaines ; 11 % le sont par des cultures (essentiellement des céréales). On retiendra surtout que sur les 14 mille millions d’hectares de terres émergées, un tiers est cultivable. Or, sur ce tiers, seules 40 % sont effectivement cultivées. Ce décalage renvoie cependant à des réalités contrastées selon les régions du globe observées. Il est ainsi particulièrement marqué en Amérique latine et en Afrique sub-saharienne, où 15 % à 20 % seulement des surfaces cultivables sont cultivées. Cette sous-exploitation explique notamment le mouvement actuel d’acquisitions  ncières porté, au mépris des négociations internationales et multilatérales, par des entreprises et des fonds souverains en Zambie, au Mali, à Madagascar ou au Soudan. La situation est quelque peu différente en Amérique du Nord et en Russie, où la moitié des terres cultivables sont cultivées. Enfin, l’Asie et le Moyen-Orient se signalent par une indisponibilité foncière : pratiquement tous les espaces cultivables sont cultivés. Ces chiffres peuvent cependant être questionnés. Comme le note Laurence Roudart, concernant l’Asie par exemple, ils n’intègrent pas le potentiel d’une pratique telle que celle du terrassement.  Laurence Roudart et Marcel Mazoyer ont cherché à établir, à partir des travaux de l’Institut international d’analyse des systèmes appliqués (IIASA), trois scénarios dessinant chacun un type possible d’évolution agricole entre 2000 et 2050. 

Le premier consiste à ne pas toucher aux forêts et à ne pas empiéter sur les terres jugées « peu convenables » à la culture car se caractérisant par un rendement inférieur à 20 % du meilleur rendement accessible. Dans une telle configuration, les superficies cultivées connaîtraient une croissance globale de 70 %. Le deuxième scénario reprend les éléments du premier mais inclut une extension des cultures aux terres « peu convenables » sans toucher aux forêts. Les superficies cultivées pourraient alors doubler. Enfin, un troisième scénario intègre la mise en culture d’un quart des surfaces actuellement recouvertes de forêts. Les superficies cultivées seraient ainsi multipliées par 2,6 sur la surface du globe, voire par plus de 6 pour la seule Amérique latine et 5 pour l’Afrique. Il y aurait également d’assez importantes marges de manœuvre en Amérique du Nord, en Europe, en Russie et en Océanie. On peut également se pencher sur le futur de l’agriculture en intégrant le changement climatique dans cette démarche
. L’IIASA, basé en Autriche, a notamment cherché à isoler les effets probables des bouleversements climatiques allant dans le sens d’un réchauffement, à travers sept scénarios. Tous prévoient, sous l’effet du changement climatique, une augmentation des terres cultivables à l’échelle mondiale, et plus particulièrement dans le nord de l’Amérique, de la Russie et de l’Asie. Pour autant, certaines zones pourraient fortement pâtir des effets du changement climatique. C’est notamment le cas de l’Amérique du Sud et centrale ainsi que de l’Afrique.
On peut, enfin, intégrer dans un tel exercice de prospective la prise en compte des effets possibles de l’irrigation. Une extension de ces dispositifs permettrait notamment d’augmenter significativement la superficie des terres cultivables et la production céréalière en Asie centrale et au Moyen-Orient.
Centre d’études prospectives et d’informations internationales 

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Ce dossier a été rédigé à partir des analyses présentées par Sébastien Treyer (Agrimonde, ENGREF), Hervé Guyomard (INRA), Jean-Pierre Butault et Laurence Roudart (AgroParisTech), lors du Rendez-vous de la Mondialisation du 18 juin 2009, animé par Marcel Mazoyer (AgroParisTech). 


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