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Les rendez-vous de la mondialisation

Mondialisation

Dossier n° 16 - « Mondialisation et environnement »

16/12/09

La mondialisation a accéléré la prise de conscience des défis environnementaux auxquels sont confrontées les opinions publiques. Esquissée dans les années 70, une large mobilisation s’est organisée à partir du Sommet de la terre à Rio (1992) et connaît un nouvel essor avec le Sommet de Copenhague (7- 18 décembre 2009). Il apparaît crucial de prendre la mesure la plus exacte possible du lien entre activités humaines et changement climatique, et donc entre mondialisation et environnement, sous différents angles 1.  

MODELES DE CROISSANCE ET IMPACT DE LA MONDIALISATION SUR L’ENVIRONNEMENT

Selon Cédric Philibert, cette question peut se traiter sous deux angles, soit en considérant la mondialisation dans sa définition la plus étroite, soit en l’appréhendant de manière plus globale par le biais du concept de « bien public mondial ».   La mondialisation, suivant une définition étroite, se caractérise par l’intensification des échanges. Depuis Ricardo, cette intensification des échanges est généralement considérée, avec la théorie des avantages comparatifs, comme bénéfique à la croissance. Les avis sont en revanche contrastés en ce qui concerne les liens entre mondialisation et environnement. La croissance économique ne se traduit cependant pas par une dégradation systématique de l’environnement observe Cédric Philibert, faisant référence à la courbe de Kuznets. Selon cette dernière, le début du processus de développement économique se traduit par des atteintes à l’environnement de plus en plus nombreuses. Par exemple, la qualité de l’air diminue du fait de l’utilisation d’hydrocarbures sans méthode de filtrage. A partir d’un certain niveau de développement, la courbe s’inverse, car la société, plus riche, possède alors la capacité d’investir dans la recherche de moyens de production plus respectueux de l’environnement. Le progrès technologique fait son oeuvre, et les gens sont davantage prêts à certains efforts concernant leurs modes de consommation. Par un effet de second ordre, la courbe de Kuznets tendrait à plafonner à niveaux de plus en plus bas au fur et à mesure de l’industrialisation de nouveaux pays. Ceux-ci bénéficiant des effets de connaissances accumulés dans les pays développés sauraient mieux identifier et utiliser les « boîtes à outils » les plus efficientes en matière environnementale (cf. la Corée et les dragons asiatiques).  Ce modèle vaut pour les polluants classiques mais connaît une exception de taille, les émissions de gaz à effet de serre. Celles-ci ne cessent d’augmenter avec la croissance économique. De surcroît, une augmentation des émissions dans la région parisienne n’a pas de conséquences directes sur ce territoire mais est mise au « pot commun » avec un impact global. Cherchant à préciser quelles sont les conséquences directes de la mondialisation, Cédric Philibert commence par citer le « dumping environnemental ». Les industries polluantes sont délocalisées vers des pays aux normes environnementales sinon inexistantes, du moins plus souples.  Mais il estime que le dumping a au final une importance relativement mineure, en tout cas moins que d’autres critères comme le différentiel en matière de coût du travail. Le deuxième effet direct concerne la consommation d’énergie dans les transports, routiers, aériens et maritimes. Or ni la question des « soutes maritimes » ni celle des « soutes internationales »  au titre de l’aviation ne sont incluses dans le protocole de Kyoto. Enfin, la mondialisation est à l’origine d’une invasion d’espèces de pays à pays, remplaçant les espèces endogènes (cf. les écrevisses californiennes) et donc d’une érosion de la biodiversité.  L’autre angle consiste à analyser les enjeux en s’appuyant sur le concept de « bien public mondial », concept de plus en plus utilisé, et souvent à mauvais escient estime Cédric Philibert. L’eau n’est pas selon lui un bien public mondial. Seuls deux problèmes ont une dimension de cette envergure : le maintien de la couche d’ozone (en passe d’être résolu) et la stabilité climatique.  La vision française veut que des problèmes mondiaux requièrent une gouvernance mondiale. Mais faut-il une organisation mondiale de l’environnement comme le réclame la France ou un dispositif comme celui du Sommet de Copenhague ? Cédric Philibert penche pour la deuxième solution.   En conclusion, il souligne l’importance de deux autres facteurs : tout d’abord, l’exemplarité des modes de consommation (la série Dallas a valorisé en son temps toute une série de comportements), mais aussi la « collaboration technologique ». Cédric Philibert préfère ce terme à celui de « transfert de technologie » qui véhicule une relation déséquilibrée, du Nord vers le Sud, alors que les pays du Sud ont un vrai savoir-faire en matière d’énergies renouvelables. C’est dans une collaboration technologique internationale de plus grande ampleur que réside une des clés de la lutte contre le changement climatique.  

PROCESSUS DE COPENHAGUE ET ARCHITECURE DE COOPERATION  

S’appuyant sur les travaux en cours du CIRED, menés par Meriem Hamdi-Chérif, Céline Guivarch et lui-même, Philippe Quirion souligne que l’objectif est de trouver un juste milieu entre la position des pays en développement favorables au « principe des responsabilités communes mais différenciées » et celle des pays développés, en particulier celle du Sénat américain (cf. sa résolution de 1997 toujours d’actualité), basée elle sur la « participation significative » des pays en développement.   Philippe Quirion constate aujourd’hui le grand écart entre l’analyse des économistes (cf. le rapport de Jean Tirole pour le Conseil d’Analyse Economique) concluant à un prix unique du CO2 dans tous les secteurs et pour le monde entier, et l’état des discussions au Sommet de Copenhague. Ce type de scénario est en effet désormais peu probable. Un marché unique peut paraître, à tort ou à raison, contraire au principe des responsabilités différenciées, tandis que les plafonds d’émissions absolus peuvent être considérés, là encore à tort ou à raison, comme autant de contraintes à la croissance économique. Des plafonds d’émission par pays peuvent avoir des conséquences distributives importantes dans les pays en développement (cf. l’augmentation du prix du ciment limitant la construction de logements). Des transferts massifs du Nord vers le Sud peuvent entraîner un « syndrome néerlandais » soit une perte de compétitivité de ces pays, sans compter la question de savoir si ces transferts seront acceptables pour les pays du Nord et crédibles pour les pays du Sud.   En réponse à ce dilemme, plusieurs auteurs ont proposé que les pays développés continuent à s’astreindre à des objectifs de type Kyoto, tandis que les pays en développement mettraient en place des politiques de lutte contre le changement climatique uniquement dans certains secteurs. Le premier secteur visé, car pus grand émetteur, serait l’électricité.   Cependant une quantification du coût économique d’une telle architecture fait défaut. C’est ce à quoi le CIRED a cherché à remédier. A l’aide d’un modèle spécifique d’équilibre général hybride (« Imaclim-R model »), les travaux en cours en viennent à comparer cinq scénarios. Ceux-ci se déclinent du scénario « business au usual », où les émissions continuent à progresser sans frein, à un scénario « Elect-Output based » où les pays du Nord ont mis en place un marché unique du carbone tandis que les pays du Sud ont lancé des politiques sectorielles de lutte contre le changement climatique dans le secteur de  l’électricité, auxquels s’ajoutent trois scénarios intermédiaires.    Philippe Quirion détaille ses conclusions à deux niveaux :  - en ce qui concerne les émissions globales de CO2 : les scénarios sectoriels montrent des résultats encourageants. A l’horizon 2030, ils représentent 80% du montant des émissions issu du scénario idéal « Global-Cap » faisant l’hypothèse d’un marché mondial tous secteurs à partir de 2013 ;  - en ce qui concerne les pertes du PIB dans les pays en développement : à l’horizon 2018, le scénario idéal « Global-Cap » se caractérise  par une perte de 3% du PIB pour les pays en développement par rapport au scénario « business as usual ». Il est fort probable qu’une telle hypothèse soit très difficile à accepter par les gouvernements concernés. En revanche, si les pays développés sont seuls à mener une politique de lutte contre les émissions (scénario dit « Annex I only »), les pays en développement verraient leur PIB augmenter de 1% en raison des délocalisations et de la baisse du prix des énergies fossiles causée par le ralentissement de la consommation dans les pays du Nord. Les deux scénarios sectoriels selon lesquels les pays en développement mettraient en place des politiques dans le secteur de l’électricité présentent des résultats contrastés. Dans le scénario privilégiant une redistribution forfaitaire aux ménages, la perte de PIB pour ces pays se chiffre à -2% en 2018. Dans le scénario privilégiant une distribution des quotas proportionnellement à la production d’électricité, la perte de PIB est fortement réduite, à moins de 1% et dès 2020, l’effet négatif sur le PIB disparaît.   Une politique sectorielle comme l’a dit avec justesse le rapport Tirole n’est pas optimale. Cependant les travaux qui viennent d’être décrits laissent à penser que les politiques sectorielles donnent des résultats se rapprochant notablement de ceux du scénario idéal (ou « Global Cap »). De plus, souligne Philippe Quirion, leur impact sur le prix de l’électricité est limité, ce qui les rendent socialement beaucoup plus acceptables.  

LEGITIMITE ET ENJEUX D’UN PROTECTIONNISME VERT

Hélène Ruiz-Fabri indique que contrairement aux économistes qui viennent de tracer une vision du futur, elle va surtout mettre en lumière une image du passé. Le droit cristallise en effet des rapports de force à un temps T pour établir des règles qui vont s’appliquer à un temps T+ 1. La question principale est alors celle de l’asymétrie normative.   Du point de vue juridique, il existe une temporalité particulière en ce qui concerne l’environnement. Les articulations possibles mais aussi les conflits entre engagements commerciaux et environnement n’ont pris corps que depuis un peu plus de vingt ans. Pour l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ces conflits ne sont ni anciens, ni nombreux. Les réponses sont partielles, liées à un phénomène de rareté, que l’on peut traiter par la voie de l’exception. Devant la montée en puissance des questions environnementales, il n’est nullement certain que ces réponses puissent demeurer identiques, la problématique devenant systémique.   Dire que la solution réside dans la création d’une nouvelle organisation internationale fait partie, selon les termes mêmes d’Hélène Ruiz-Fabri, des « fétichismes » français et relèverait du « jouet institutionnel ». Les organisations internationales ne sont pas naturellement coopératives. Or la priorité est ici de créer de la coopération, par n’importe quelle voie. L’organisation internationale pourrait être une solution, à condition qu’elle sache être moins « patriotique » dans ses comportements, mais rien n’est moins sûr selon Hélène Ruiz-Fabri.  Le protectionnisme est le fait d’un Etat prenant des mesures pour fermer un marché jusque là ouvert. L’enjeu sous-tendant le protectionnisme vert est de déterminer si un Etat est légitime à prendre des mesures fermant un marché ouvert au nom de l’environnement. Le droit de l’OMC contient des dispositifs d’exception quand l’objectif invoqué relève de la protection des ressources naturelles épuisables. Mais ces dispositifs sont soumis à conditions : la mesure prévue doit permettre d’atteindre effectivement cet objectif et ne doit pas porter d’atteinte disproportionnée aux échanges internationaux. Il n’en reste pas moins, selon l’OMC, qu’un Etat ne peut pas invoquer le prétexte de l’environnement alors qu’il cherche en réalité à protéger son économie et la compétitivité de ses entreprises.   Dans un contexte global, l’appréciation du caractère proportionné est des plus complexes et la problématique du changement climatique en est une illustration. Tout le monde est aujourd’hui conscient de ne pouvoir attendre que tous soient prêts pour prendre des mesures. Mais ceci s’inscrit dans un monde très hétérogène, entre des pays développés qui ont bâti leur modèle de croissance sur de procédés de production polluants, mettant à mal le capital environnemental et des pays en développement qui revendiquent d’utiliser ces mêmes procédés, notamment pour des questions de coût. Or tous les membres de l’OMC sont aujourd’hui traités de la même manière, qu’ils soient développés ou en développement (cf. le conflit entre les Etats-Unis et plusieurs pays du Sud-Est asiatique opposant pêche des crevettes et protection des tortues maritimes). Le système en vigueur repose sur la théorie des avantages comparatifs et ne prend pas en compte le principe des responsabilités différenciées. Si l’on n’est pas encore du point juridique dans le changement de paradigme, il va falloir faire évoluer les concepts. Le débat enfle autour de la prise en compte des normes sociales et il va en être de même en matière environnementale (cf. la déjà vive discussion autour de l’Amazonie comme bien public mondial, vision que récuse le Brésil).   Une des pistes selon Hélène Ruiz-Fabri serait de généraliser le système des permis d’émission. Cela implique par exemple que les importateurs européens soient contraints d’acquérir de tels permis pour les marchandises qu’ils font entrer en Europe. Mais ceci pourrait être source de discriminations entrant en conflit avec les règles actuelles du droit international. Les permis gratuits restent des subventions, sujettes à caution.  Il va falloir faire des choix politiques importants et difficiles puisque l’on ne pourra pas satisfaire simultanément tous les intérêts en présence. Le protectionnisme vert en tant que mesure transitoire destinée à engager une lutte crédible contre le changement climatique peut être légitime. Mais il n’est pas légal.  

LES MIGRATIONS CLIMATIQUES

En remarque préalable, Bettina Laville distingue les « migrations climatiques » volontaires, des « réfugiés climatiques » qui se déplacent par nécessité. Le statut des réfugiés climatiques n’existe pas mais fait l’objet de nombreuses réflexions renvoyant à la question mythique de « l’Atlantide » et des territoires disparus (cf. Les îles Tuvalu avec la montée des eaux). La problématique juridique tient alors dans la détermination de la nationalité pour une personne dont le territoire n’existe plus. La réalité, dramatique, laisse présager entre 250 millions et un milliard de réfugiés climatiques en 2050, même si le dernier rapport du PNUD conteste ces chiffres au motif qu’ils ne tiennent pas compte de l’adaptation, soit de la capacité humaine à faire face à des phénomènes de cette ampleur. Les personnes se trouveront dans des régions du sud, pauvres et dans des territoires où les migrations sont déjà très importantes pour des raisons économiques. Il peut alors devenir très difficile de distinguer migrations climatiques et migrations économiques. Ceci justifie, selon  Bettina Laville, de préférer l’emploi de l’expression d’ « éco réfugiés ». Pour faire entrer ces personnes dans un mécanisme de protection, il faut les faire entrer dans le monde économique.  Les organisations internationales traitent ce problème de façon très différente. Le PNUD (cf. son rapport sur les migrations de 2009) considère celles-ci comme un phénomène positif, vecteur d’enrichissement humain. Le PNUE redoute lui que ces migrations n’en viennent à poser des problèmes de sécurité mondiale. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a ouvert le dossier en 2007, ce qui est une révolution mais le Groupe  des 77 a contesté la légitimité de cette enceinte. Le Haut Commissariat des réfugiés reste très prudent, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) ne donne pas de solutions. Restent les éléments relevant du droit humanitaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la persécution des crimes de guerre et notamment les principes directeurs de l’Assemblé destinés à offrir une protection similaire à celle des réfugiés de guerre. Ces derniers pourraient offrir une base de départ pour élaborer un statut d’ « éco-réfugié ». La France qui se veut très en pointe, a publié à l’Université de Limoges la seule proposition de statut pour les réfugiés climatiques. Mais c’est un statut très large et ouvert, qui de ce fait laisse présager des difficultés de ratification. La question de l’avenir institutionnel des « éco réfugiés » reste entier et devra être résolu à plusieurs niveaux :  - Tout d’abord, un pur problème juridique se pose pour les « éco réfugiés » dont l’Etat disparaît. Comme ces derniers se déplacent alors vers les zones frontalières, il leur faut obtenir d’urgence une protection frontalière. Dans un contexte de frontières en train de se fermer, on peut augurer une multiplication de ces conflits débouchant sur un vrai problème de sécurité internationale.  - Ensuite, un problème d’équité entre les différentes catégories de migrant, au sein du vaste mouvement de migrations qui s’annonce, va émerger. Il faudra empêcher que les migrants économiques ne s’installent dans les régions les plus riches, tandis que les migrants climatiques s’entassent dans des camps.  Bettina Laville souligne que les « éco réfugiés » constituent le plus grand problème d’asile au moment même où celui-ci suscite de plus en plus de crispations et de méfiance chez les gouvernants. Bettina Laville regrette que les réfugiés climatiques soient « le non objet des négociations de Copenhague ». Ceci démontre, selon elle, combien le droit de la nature peine à entrer dans le droit international.  


( 1 ) Ce dossier a été rédigé à partir des analyses présentées par Cédric Philibert, Administrateur principal à l’Agence Internationale de l’Energie, Philippe Quirion, Chercheur au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement, Hélène Ruiz-Fabri, Professeur à l’Université Paris I- Panthéon Sorbonne, et Bettina Laville, Avocate et Présidente d’honneur du Comité 21 lors du  Rendez- vous de la mondialisation du 09 décembre 2009, animé par Jean-Marie Chevalier, Professeur à l’Université Paris-Dauphine, après une introduction de René Sève, Directeur général du Centre d’analyse stratégique.  

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