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Les rendez-vous de la mondialisation

Mondialisation

Dossier n° 15 - La contestation de la mondialisation

01/10/09

Après la chute du mur de Berlin, les grandes économies du Nord ont célébré la victoire du capitalisme. Le mythe d’une « mondialisation heureuse », sans alternative au capitalisme libéral, s’est développé. Des mouvements contestataires, rassemblant une grande pluralité d’acteurs, ont toutefois émergé dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud. Mieux saisir les enjeux de cette contestation implique de s’interroger sur sa nature, ses acteurs ainsi que sur les rapports qu’ils entretiennent avec la sphère politique et syndicale

LA CONTESTATION VUE DU NORD

Selon Zaki Laïdi, la crise a ravivé le débat sur la mondialisation sans que le courant néolibéral s’oppose frontalement à celui des étatistes ou des régulationnistes. De surcroît, la concomitance de la crise financière et de la crise environnementale ne devrait pas se solder par un retour aux équilibres passés. La crise actuelle a donc des effets inattendus, mais elle suscite d’autres interrogations. La notion de « déglobalisation », c’est-à-dire la réorientation de la production vers les marchés locaux plutôt que vers l’exportation, a été popularisée par Walden Bello. Elle fait écho à la réflexion actuelle sur le renouveau du protectionnisme dans le contexte de la crise.                                           

De surcroît, le développement de normes privées fait courir le risque d’un « protectionnisme vert ». Zaki Laïdi conclut que la critique de la mondialisation rejoint celle de l’État dans les pays du Nord, dans le sens où le renforcement de leur rôle est à la fois souhaité et critiqué. Toutefois, il souligne combien la définition du cadre du rôle de l’État est délicate alors que les opinions publiques montrent des signes de défiance, notamment lorsque l’aléa moral est en cause. Alors qu’à la faveur de la crise, les pays du Nord s’interrogent sur le libre-échange et sur l’État, qu’en est-il des pays du Sud ?  

LA CONTESTATION VUE DU SUD  

Alfredo Valladão analyse la naissance du mouvement altermondialiste du Sud comme une réaction à la victoire de l’idéologie du capitalisme libéral sur le socialisme d’État à partir de la chute du mur de Berlin en 1989.  Les politiques néolibérales appliquées dans les pays du Sud (promotion des privatisations et du libre-échange, politiques orthodoxes) ont affaibli un système social fondé sur des pyramides clientélistes et rentistes qui maintenaient une certaine cohésion. Si bien qu’elles ont menacé les communautés traditionnelles comme les classes moyennes ou les aristocraties ouvrières. De surcroît, le modèle libéral de croissance, avide de ressources naturelles et dangereux pour le climat, a provoqué la montée d’une conscience écologique mondiale. Cette conjonction de facteurs a catalysé les mécontentements. L’Amérique latine, notamment le Brésil, a joué un rôle central dans l’émergence de cette mouvance contestataire du Sud durant les années 1990. Ainsi, le mouvement zapatiste et l’esprit du Forum de Porto Alegre ont ensuite essaimé dans d’autres régions. La raison de cette place particulière de l’Amérique latine tient sans doute au fait que l’urbanisation y est particulièrement développée et que l’ensemble des problèmes issus de la mondialisation s’y sont posés simultanément. Selon Alfredo Valladão, trois composantes principales caractérisent alors la mouvance altermondialiste : les mouvements de défense des droits communautaires particuliers, tels les groupes indigénistes ; les mouvements centrés sur la question sociale prônant la démocratie participative et le retour au « local » ; enfin, les mouvements de protection de l’environnement. Au départ, pratiquement tous les groupes contestataires du Sud étaient locaux et centrés sur des problèmes locaux. C’est à la faveur de leur  jonction avec les mouvements contestataires du Nord, porteurs d’une approche plus politique et plus systémique, que les aspects anticapitalistes et altermondialistes se sont développés au Sud. La contestation commune du Nord et du Sud s’est cristallisée sur les Forums sociaux et sur la lutte contre le libre-échange. La coalition du mouvement s’est d’ailleurs scellée en 1999  à l’occasion des manifestations organisées pendant la conférence ministérielle de l’OMC à Seattle. Aujourd’hui, le mouvement altermondialiste semble en perte de vitesse, tout au moins silencieux, face à une crise extraordinaire qui pourrait pourtant lui avoir donné raison. L’explication en est que les altermondialistes sont victimes à la fois de leur propre succès et de celui de la mondialisation libérale. Alfredo Valladão rappelle que les questions sociales et environnementales défendues par les altermondialistes ont été progressivement reprises dans les années 2000 par les instances internationales, voire nationales (mouvement chaviste par exemple). Il souligne également que, depuis quinze ans, la plus forte croissance économique de l’histoire de l’humanité a été enregistrée et que huit cent millions de personnes sont sorties de la pauvreté (notamment en Chine et en Inde). De plus, les inégalités ont légèrement diminué même au Brésil, pays le plus inégalitaire d’Amérique latine. Ces succès socioéconomiques, auxquels s’ajoute la volonté farouche des opérateurs du développement et des pays du Sud de maintenir le libre-échange, ont contribué à vider le mouvement de sa base revendicatrice. Au Sud, les groupes contestataires de la mondialisation sont en train de se transformer en gestionnaires locaux, défenseurs de la démocratie participative, voire acteurs de la politique nationale. Une certaine rupture au sein des mouvements de contestation, en particulier Nord/Sud, en a résulté. D’un côté, des mouvements plus politiques, surtout les groupes du Nord ou ceux liés à des organisations d’extrême gauche, maintiennent une volonté de changement idéologique et systémique (think tanks, syndicats). Ces groupes se sont ainsi rapprochés des gouvernements locaux type Chavez ou des idées bolivariennes. De l’autre côté, notamment au Sud, des mouvements plus pragmatiques et localistes forment le cœur des Forums sociaux de Porto Alegre. Alfredo Valladão conclut qu’au-delà de leurs orientations, ces mouvements jouent toujours un rôle important au Sud, soit comme gestionnaires locaux soit comme contre-pouvoirs. 

LES ACTEURS DE L’ALTERMONDIALISME

Plus précisément, qui sont les acteurs de l’altermondialisme ? Pour Eddy Fougier, on parle souvent à tort d’un « mouvement » altermondialiste, alors qu’il s’agit plutôt d’une nébuleuse de mouvements sans qu’il existe une internationale altermondialiste, à l’image de l’internationale communiste. D’ailleurs, le Forum social mondial (FSM) n’est pas un congrès annuel et le conseil international du FSM n’est pas un bureau politique.  La nébuleuse altermondialiste se compose de trois grands groupes d’acteurs avec des degrés variables d’engagement. Le premier groupe est constitué de mouvements altermondialistes au sens strict, dont ATTAC est emblématique, notamment en France. Ces mouvements, tous issus de la société civile en réaction à la mondialisation néolibérale, sont des observatoires de la mondialisation (évaluation, critiques, propositions d’alternatives) qui prennent la forme de mouvements d’éducation populaire, tel ATTAC, ou, très souvent, celle de think tanks classiques.  Le second groupe rassemble des mouvements sociaux ou des ONG (Confédération paysanne, Greenpeace, Caritas International, par exemple). Sans être au cœur des mouvements altermondialistes, ce groupe s’inscrit dans la même mouvance en participant à des mobilisations altermondialistes et à des FSM. Leur travail de terrain les conduit également à partager la conviction de la nocivité de la mondialisation néolibérale. Enfin, le troisième groupe n’appartient pas à la société civile. Il s’agit d’organisations politiques ou de médias qui participent à la dynamique altermondialiste sans pouvoir en être les acteurs directs (le FSM n’accepte que les organisations de la société civile). Deux grandes phases marquent l’évolution de l’altermondialisme. Tout d’abord, de la chute du mur de Berlin à Seattle, les mouvements de contestation montent en puissance sans grande visibilité. Leur émergence médiatique date de Seattle. Entre 1999 et 2006, le débat sur la mondialisation passe de la sphère académique à la sphère publique et politique. Les altermondialistes y exercent une position dominante tant sur les critiques de la mondialisation que sur les alternatives proposées lors des Forum sociaux. À l’heure de la crise financière et environnementale, l’altermondialisme entre dans une seconde phase paradoxale. Les altermondialistes ne font plus la une des médias malgré la pertinence de leurs analyses sur la crise, l’importance de leur production intellectuelle ainsi que la participation massive (130 000 personnes) au Forum social de Belém en 2009.  Eddy Fougier explique ce paradoxe par le fait que les altermondialistes ont perdu leur position prépondérante dans la contestation de la mondialisation. En effet, leurs critiques ont été intégrées au sein même des systèmes en place et les solutions alternatives à la mondialisation libérale se trouvent plus du côté des expériences politiques de La Paz et Caracas que de celui des réformes qu’ils prônent. Ce sujet soulève d’ailleurs d’importants débats : pour certains altermondialistes, notamment d’anciens membres d’ATTAC, il est temps de passer au post-altermondialisme en parlant d’anticapitalisme, de révolution et en se tournant vers l’action politique. Eddy Fougier souligne, en guise de conclusion, que les schémas des altermondialistes ne correspondent plus à la réalité car leurs approches, souvent « marxiennes » (néolibéralisme, capital, acteurs occidentaux), ont rendu difficile l’intégration de certaines évolutions du monde dans leurs analyses, notamment la montée des économies émergentes ou le nouveau rapport entre public et privé. Il n’est donc pas étonnant que les mouvements altermondialistes soient actuellement en perte de vitesse. La moindre visibilité des altermondialistes pourrait  aussi provenir d’une articulation déficiente avec le politique et le syndical.

 

LES RELATIONS DE L’ALTERMONDIALISME À LA SPHÈRE POLITIQUE ET SYNDICALE  

L’altermondialiste Nicanor Perlas propose un schéma d’organisation triangulaire des pouvoirs, des confrontations ou des coopérations dans la mondialisation. Les trois sommets du triangle sont occupés par le pôle des gouvernements et des organisations internationales ; le pôle des entreprises multinationales et des lobbies ; enfin, le pôle de la société civile et du mouvement altermondialiste. Comme il a été dit précédemment, la société civile est un concept difficile à définir, que l’on peut sans doute qualifier de « nébuleuse » ou de « réseau » plutôt que de « mouvement » au sens du mouvement ouvrier au XIXe  siècle.  

D’après Dominique Plihon, le développement du mouvement altermondialiste s’est déroulé en quatre étapes. La première a été la prise de conscience que la coordination de différents mouvements de contestation permettait de mettre en échec des projets dangereux pour l’évolution ultérieure de la mondialisation. Elle a été franchie en 1998 lorsque la coordination transatlantique des mouvements de contestation a conduit au rejet du projet d’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), négocié de façon opaque au sein de l’OCDE. Le sommet de Seattle en 1999 a symbolisé la deuxième étape.  

La troisième étape, celle du sommet de la Terre à Johannesburg en 2002, a correspondu à la prise en compte de l’écologie par les trois groupes d’acteurs du triangle déjà décrit ainsi qu’au démarrage d’un véritable dialogue triangulaire. C’est à cette occasion que les entreprises sont devenues parties prenantes du dialogue préexistant entre les organisations internationales et les ONG. On a assisté alors à la montée du concept de responsabilité sociale des entreprises dans un contexte international. La quatrième étape est celle des Forums sociaux, mondiaux ou régionaux. Par exemple, en 2009, le Forum social mondial de Belém s’est illustré symboliquement par l’articulation établie entre le social et l’environnemental. Selon Dominique Plihon, l’absence du FSM de Belém à la une du 20 heures de TFI n’est pas une indication du déclin du mouvement altermondialiste – le Forum a connu un vif succès – mais en dit long sur le fonctionnement des médias.

Les trois marqueurs du mouvement altermondialiste sont  penser et agir global en se situant d’emblée dans la mondialisation,  construire des alternatives face à l’idéologie d’organisation unique de la mondialisation « TINA » (There Is No Alternative) diffusée après la chute du mur de Berlin, et  constituer des contre-pouvoirs pour que la démocratie fonctionne aux niveaux local, national et mondial. Ce qui pose le problème de la légitimité démocratique de tels contrepouvoirs. D’après Dominique Plihon, les altermondialistes sont « gramsciens » dans le sens où ils croient au pouvoir des idées et au rôle central des contre-pouvoirs. L’altermondialisme peut ainsi être défini comme un mouvement social tourné vers les luttes d’émancipation, héritier des mouvements ouvrier ou anti-colonial tournés vers les luttes de libération. Il résulte de la convergence de plusieurs composantes (mouvements de solidarité envers le tiers monde, syndicats ouvriers et paysans, ONG, mouvements des « sans »). Au sein de l’altermondialisme, ATTAC joue un rôle spécifique. Présent dans environ cinquante pays, ATTAC est un mouvement d’éducation populaire (débat d’idées) tourné vers l’action (luttes sociales), qui propose une analyse critique et des propositions alternatives face à la mondialisation néolibérale. De surcroît, l’association a un rôle fédérateur, notamment par la mise en réseau des mouvements de lutte, de l’échelle locale à l’échelle internationale. En ce sens, c’est une composante centrale de l’altermondialisme. Quelle est la stratégie d’ATTAC ? Pour comprendre son fonctionnement de l’intérieur, il convient de souligner l’originalité de l’organisation d’ATTAC en France, structurée autour de trois composantes : le  collège des fondateurs – à l’origine de la création d’ATTAC (syndicats, mouvements sociaux, médias) – dont les membres siègent souvent au Conseil d’administration ; le Conseil scientifique qui comprend une centaine de membres issus de différentes disciplines et, enfin, les  comités locaux  (environ 200) qui sont organisés au sein du Conseil national des comités locaux. Cette organisation donne accès à un vivier d’acteurs complémentaires pour la réflexion et l’action à différents niveaux. ATTAC a également trois différents types d’alliances et de partenariats. Avec les acteurs du mouvement social (syndicats, mouvements tiersmondistes et écologistes), ATTAC cherche à travailler en symbiose et à rapprocher des points de vue, syndicats et écologistes par exemple. Avec les  acteurs politiques (partis, élus, villes), ATTAC établit des partenariats pour essayer de les convaincre de défendre certaines politiques ou de faire passer des projets de lois ou des amendements. Enfin, ATTAC a de nombreux contacts avec  les acteurs et les mouvements internationaux (Forums sociaux, Nations unies) et est partie prenante de certaines commissions (commission Stiglitz).

Enfin, Dominique Plihon rappelle que le mouvement altermondialiste du XXIe  siècle s’inscrit dans le prolongement des mouvements sociaux émancipateurs. Il souligne que les idées altermondialistes, loin d’être dépassées comme l’a dit Eddy Fougier, sont au contraire validées par la crise et en partie reprises. À titre d’exemple, deux prix Nobel, Stiglitz et Krugman, ont dénoncé les failles de la théorie économique standard, le G20 débat de la re-régulation des banques et de la finance internationale ainsi que du démantèlement des paradis fiscaux, des politiques comme Peer Steinbrück ou Bernard Kouchner évoquent la mise en place de taxes globales financières du style taxe Tobin. Chacun de ces thèmes a été porté depuis de nombreuses années par les altermondialistes, dont ATTAC. L’important n’est pas d’occuper le devant de la scène médiatique mais que les idées soient reprises.

 

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