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Les rendez-vous de la mondialisation

Mondialisation

Dossier n° 12 - Les États-Unis dans la mondialisation

01/01/09

Le monde semblait, avant la chute du mur de Berlin, régulé par la seule idée que le marché et la démocratie engendreraient et diffuseraient inévitablement la paix et  la prospérité. La fin du XXe siècle a remis en question cette équation et annoncé, dans le même mouvement, le retour des États sur le devant de la scène inter-nationale. Se pencher sur le rôle et la place de la superpuissance états-unienne dans un monde globalisé doit donc permettre de mieux appréhender la complexité de notre époque. Il semble en effet, comme le souligne Jacques Mistral, que rien de constructif ne puisse être entrepris sans les États-Unis. Pour autant, les années qui viennent de s’écouler montrent que les choix stratégiques et diplomatiques de cette nation n’ont pas toujours joué en faveur des équilibres internationaux.  L’élection de Barack Obama, en novembre 2008, soulève par consé-quent un certain nombre d’interrogations. Au-delà de l’enthousiasme qu’elle a pu susciter de par le monde, l’arrivée  de la nouvelle adminis-tration annonce-t-elle un repositionnement des États-Unis dans et face à la mondialisation ?1

I – LA STRATÉGIE INTERNATIONALE ET DIPLOMATIQUE DES ÉTATS-UNIS. UN RAPIDE BILAN 

Comment s’assurer d’un rôle impérial moins par le biais de l’hégémonie que d’un leadership reposant principalement sur une supériorité militaire et une légitimité à définir un intérêt national répondant aux attentes des pays alliés ? C’est peut-être à la lumière de cette question que doivent être lues les orientations états-uniennes depuis plusieurs décennies. Les réponses qui y ont été apportées ont souvent consisté à trancher entre le seul usage de la force et le recours à un mode coopératif permet-tant de partager le « fardeau » de leader. Ce dilemme s’est trouvé exacerbé dans un monde sans URSS mais marqué par l’émergence de problèmes globaux.  

Alors même que l’essor économique des années 1990 avait pu nourrir, à Washington, un certain « complexe du vainqueur » et rendre séduisante la tentation unilatéraliste, l’administration Clinton a entendu promouvoir l’idée que globalisation et démocratisation marchaient de concert. Parti-sanes d’une large ouverture commerciale, les autorités états-uniennes ont ainsi fait de la globalisation un outil, voire une fin en soi, de leur politique. C’est dans cette logique qu’elles ont multiplié les échanges de technologie, censés assurer une intégration pacifique de certains pays dans le concert des nations. Mais cette vision des choses s’est heurtée à un certain nombre d’obstacles et de critiques, tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Elle n’est en effet pas parvenue à rassurer des salariés inquiets pour leur emploi. Elle n’a pas non plus endigué les inégalités Nord-Sud ou la prolifération de « nouveaux » dangers tels que le terrorisme. Elle a, par ailleurs, pu renforcer la crainte d’une certaine homogénéisation culturelle du monde.  

L’administration Bush a rompu avec l’idée qu’une approche coopérative de la globali-sation pouvait constituer une stratégie politique en soi. S’est affirmée,  à l’inverse, la reven-dication des États-Unis à se débarrasser des contraintes internationales pesant sur leur souveraineté. C’est dans ce contexte que les attentats du 11 septembre 2001 ont permis de désigner un nouvel ennemi, quelques années après la disparition de l’URSS, et de légitimer certains partis pris. Le droit à la guerre préventive et celui d’exporter la démocratie et le marché non par l’échange mais par l’intermédiaire d’un « wilsonisme  botté »2 se sont alors imposés en matrices de la stratégie internationale états-unienne. Comme a pu le  confirmer la suite des événements, une telle attitude, consolidée par la croyance en un inéluctable « choc des civilisa-tions »3, était évidemment porteuse de risques pour la crédibilité internationale des États-Unis.   

Que peut-on dès lors attendre de l’adminis-tration portée par la récente élection de Barack Obama ? L’entrée en fonction de cette nouvelle équipe ne devrait pas, selon Pierre Mélandri, modifier ce qui s’impose comme une question récurrente dès lors qu’il s’agit de penser la stra-tégie internationale des États-Unis : comment défendre ses intérêts dans un monde chao-tique ?

Au-delà d’un souci réel quant à l’image des États-Unis dans  le monde, ce nouveau pouvoir devrait a priori reconsidérer la politique étrangère à la lumière d’un certain réalisme, à distance du combat fantasmé opposant le « bien »  et  le  « mal ».  Pour autant, si l’on peut attendre de l’administration Obama une capacité d’écoute et de dialogue, les difficultés écono-miques laissent également augurer une politique résolument  « hybride ». 

Il ne serait ainsi pas improbable que, dans les mois ou années à venir, les États-Unis fassent parfois le choix de l’« unilatéralisme, du « protectionnisme »,  voire du « nationalisme », dans le seul but de protéger certains secteurs menacés.  

II – LE  SOFT POWER ÉTATS-UNIEN DANS LA MONDIALISATION 

On peut penser que l’administration Obama, dans le souci de redessiner les contours de la diplomatie états-unienne, accordera une certaine attention à ce qu’il est désormais convenu d’appe-ler le « soft power »4 : cette « puissance douce », susceptible de séduire, de persuader, voire d’influencer les autres États de manière non coercitive. Pilier essentiel de cette approche des relations internationales, le système culturel américain serait, selon Frédéric Martel, à mille lieux de l’image que tentent de lui associer nombre de ses détracteurs ; une image où se mêlent indigence de la production, toute-puissance de l’argent et prétentions hégémo-niques. Particulièrement bien ancrée en France, cette représentation reposerait en grande partie sur une méconnaissance de la réalité. Cette dernière empêcherait, selon Frédéric Martel, de voir que les configurations française et états-unienne ne sont finalement pas si dissemblables. Elles le sont tout d’abord très peu sur le plan des pratiques. Pour ne citer qu’un ensemble, ce sont ainsi 2 % des Français et 3 % des Américains qui se rendent chaque année au théâtre. On peut également noter que la part des artistes dans les populations respectives de ces deux pays est équivalente (1,5 %). 

Mais les préjugés dont la culture américaine est affublée tiennent avant tout à l’usage d’une grille de lecture inappropriée. Il est en effet difficile de saisir la situation Outre-Atlantique par le biais de la catégorisation française qui distingue secteur privé et secteur public. Aux États-Unis, l’existence d’un « secteur à but non lucratif », englobant l’intégralité des opéras, musées et bibliothèques, rend cette frontière inopérante. Elle impose, par conséquent, de penser le monde de la culture à l’aune de la division « non marchand » / « marchand » (seuls les théâtres relèvent totalement de  cette seconde catégorie). À cette première spécificité s’ajoute une  singularité institution-
nelle : les universités, dont 77 % sont publiques, occupent une place importante dans la sphère culturelle. Elles contribuent en effet à son activité par l’intermédiaire de leurs 3 500 bibliothèques, 700 musées, 345 salles de concert, 110 maisons d’éditions et des innom-brables stations radiophoniques indépendantes qu’abritent les campus.  

Ces premiers préjugés écartés, il est même possible de considérer que les budgets des institutions culturelles ne sont pas sans lien avec la puissance publique, que cette dernière intervienne directement ou par la mise en place d’incitations fiscales susceptibles de séduire les acteurs privés. Plus précisément, le financement type d’une organisation culturelle quelconque se décompose comme suit : 50 % des fonds sont liés aux activités de « billetterie »  (entrées, vente de produits dérivés, exploitation de restaurants, etc.), 35 % proviennent de dons individuels, 7 % de fonds publics (alloués par les États fédérés, les villes et différentes agences, dont l’Agence culturelle fédérale), 5 % émanent de fondations et environ 2,5 % du mécénat d’entreprise.  

Pour autant, ce système  n’est pas à l’abri de certaines défaillances, que  pourraient renforcer, dans un avenir même lointain, l’émergence ou la consolidation d’industries culturelles ambitieuses dans des pays comme  l’Inde, la Chine ou l’Egypte. Ce système n’est par ailleurs pas à l’abri de la censure, même si une contre-culture particulièrement vivace  permet le plus souvent de la contourner. Il est aussi relativement imper-méable aux productions étrangères, notamment parce qu’il dispose déjà de sa propre « diversité ». Mais sa faiblesse principale tient à l’absence d’une instance de régulation apte à le piloter dans son ensemble. 

III – LES ÉTATS-UNIS ET LA MONDIALISATION, PROMOTEURS ET BENEFICIAIRES 

Dans le domaine financier, bien que déficitaires en termes de compte courant, les États-Unis ont jusqu’à présent assuré un rôle d’intermédiation actif, en transformant les entrées de liquidités étrangères, surtout sous forme d’obligations du Trésor et privées, en investissement direct vers le reste du monde (notamment vers les pays émergents). L’histoire des États-Unis dans la mondialisation, rappelle Eric Chaney, permet de comprendre cette mécanique actuelle, qui s’est amplifiée depuis 2000.   Les États-Unis ont évolué de façon notable durant les trois principales phases de l’expan-sion du commerce international après la Seconde Guerre mondiale, en demeurant leaders sur toute la période. Dès la première phase, lors de la reconstruction de l’Europe et du Japon, de 1950 à 1974, les États-Unis exportent des capitaux et de la technologie, et fournissent l’ancre nominale. Les États-Unis, et plus particulièrement le dollar, jouent donc un rôle clé durant cette phase de « mondialisation active ». Durant la deuxième phase, de 1974 à 1985, cette même ancre est à la dérive, c’est alors une période de stagflation qui marque le gel de la mondialisation. Enfin, lors de la période récente, les États-Unis sont à nouveau érigés en leaders technologiques, mais également en consommateurs en dernier ressort.  

On assiste notamment à une phase de « super mondialisation » depuis les années 2000, qui s’accompagne d’un « Bretton Woods II », désignation informelle du nouveau système monétaire international. Il place les États-Unis au cœur du circuit de recyclage de l’épargne mondiale, où ils creusent leurs déficits. Eric Chaney commente à ce sujet « l’équilibre des déséquilibres mondiaux » mis en valeur par Caballero, Farhi et Gourinchas (2008)5, afin de rationaliser ce déséquilibre. Celui-ci fonctionne de la façon suivante : les États-Unis se caracté-rise par une balance courante déficitaire depuis les années 1990, et ce déficit s’est dégradé dans les années 2000. Il est financé par le surplus d’épargne de la Chine, et dans une moindre mesure par ceux du Japon et de l’Europe. L’importance des actifs américains dans les portefeuilles mondiaux n’a quant à elle cessé d’augmenter. Les États-Unis importent ainsi l’épargne chinoise et la réexportent sous forme d’investissements directs, car il subsiste une insuffisance d’actifs de qualité, ainsi qu’un risque excessivement rémunéré. Cela permet aux échanges États-Unis/Chine de s’équilibrer. Cet « équilibre des déséquilibres mondiaux » pourrait expliquer en partie la crise actuelle. 

Quelle pourrait être la prochaine étape, afin de résorber ce déséquilibre ? Pour aller vers plus de stabilité, Eric Chaney souligne que la désépar-gne publique américaine risque d’excéder la montée de l’épargne privée, ce qui atténuerait partiellement la rareté des actifs financiers de qualité. Cependant, cette possibilité n’est pas sans risque si la qualité de la signature du gouvernement fédéral se dégrade. Cette désé-pargne publique s’observe en effet à travers l’excédent net des engagements depuis 2000, qui s’accompagne d’une augmentation claire des actifs et des passifs américains (d’environ 75 % du PIB à 150 % de 2000 à 2008). Un autre élément mettant en valeur cette désépargne est la position extérieure nette des États-Unis, qui devient négative à partir de 1987, et diminue ensuite continuellement jusqu’en 2002. 

 En ce qui concerne les avoirs, on peut remarquer que les entreprises américaines sont les princi-pales exportatrices de capitaux, notamment depuis la troisième phase de mondialisation. On observe notamment une très forte augmentation des actifs américains, principalement des titres et des IDE, depuis 2002, avec un écart grandis-sant entre les actifs privés et les actifs détenus par le gouvernement. Le déficit américain, lui, est « surfinancé » par des acteurs étrangers, avec une diversification croissante des créances. L’équilibre international semble donc quelque peu mis à mal, car les États-Unis perdent peu à peu leur leadership, notamment au niveau du commerce des biens : ils ont été supplantés par l’Allemagne au début des années 2000, puis par la Chine en 2007, et cette tendance semble se confirmer pour les années à venir.  

Les États-Unis, principaux promoteurs et béné-ficiaires de la mondialisation depuis la Seconde Guerre mondiale, semblent ainsi avoir profon-dément besoin du « déséquilibre mondial », particulièrement pour traverser la crise actuelle, pour deux raisons : l’inexorable augmentation de l’épargne américaine, tout d’abord, de pair avec la baisse de la consommation des ménages, entraînera la nécessité de nouveaux moteurs de croissance. Ceci amènera une réorientation de la production, qui devra se  tourner davantage vers les exportations, et pourrait engendrer un affaiblissement du dollar. La seconde raison est que la désépargne publique sera obligatoire pour enrayer l’actuelle spirale à la baisse. Ces changements induisent deux tentations passa-blement risquées pour le gouvernement améri-cain : la tentation protectionniste d’une part, celle de l’impression de monnaie d’autre part, qui entraînerait une perte de confiance dans la dette américaine. Toutefois, les États-Unis ne pourront s’affranchir du débat sur la redistri-
bution interne et les inégalités.   

IV – PORTRAIT DES CHAMPIONS INDUSTRIELS AMÉRICAINS 

Sur un plan plus microéconomique, les États-Unis semblent l’acteur de la mondialisation qui a le mieux intégré le principe de « destruction créatrice » pour ce qui concerne ses entreprises. À la différence de l’Europe et du Japon, ce pays ne se caractérise pas par un attachement sans faille à la défense de ses « grands champions » industriels. Si elles comptent dans leurs rangs des éléments ayant une longue histoire, les firmes multinationales américaines de premier plan sont aussi des entreprises récentes, issues de secteurs à haute technologie.  

Pour mettre les mutations économiques en perspective, Nicolas Véron propose de s’intéres-ser au panorama d’ensemble des acteurs de la hiérarchie économique planétaire. Le classement par capitalisation boursière offre une bonne approximation des entreprises qui dominent leur époque. Celle-ci est imparfaite, du fait de bulles boursières locales, de distorsions de change, et parce que certains acteurs ne sont pas cotés en bourse. Mais la quasi-totalité des très grands groupes internationaux le sont, et leur capitali-sation reste l’indicateur de puissance relative le plus pertinent et le plus comparable. Les chiffres qui suivent sont calculés à partir du classement des 500 premières capitalisations mesurées en dollars depuis 1998 par le  Financial Times (FT Global 500). Son observation révèle un capitalisme mondial qui se transforme de façon très rapide.  L’aspect le plus étonnant est la rapidité avec laquelle l’élite des entreprises mondiales devient multipolaire. Il y a seulement dix ans, en septem-bre 1998, le monde non occidental (hors Europe, États-Unis et Canada)  représentait moins de 13 % de la capitalisation totale du Top 500 ; aujourd’hui, cette proportion a dépassé 26 %, en dépit de la relative stagnation japonaise, de la sous-évaluation des monnaies asiatiques et du Golfe, et de l’éclatement récent des bulles boursières chinoise et indienne.

Plus générale-ment, ces chiffres montrent que la part relative de l’Europe est stable  (un peu moins d’un tiers du total), alors que celle des États-Unis a brusquement chuté en cinq ans, de quasiment 58 % à 41 % de la capitalisation, ce que n’expli-quent qu’en partie les  effets de change. Une explication claire est la montée en puissance des pays émergents dont la  part, qui représentait 2 % du total en 1998, s’élève désormais à 20 %.  

En complément des aspects géographiques, l’analyse sectorielle fait  ressortir des évolutions marquantes. Les Américains restent dominants dans les services aux entreprises (68 % de la capitalisation cumulée du secteur, dont le trio de tête Microsoft, IBM et Oracle) et dans le secteur santé/pharmacie (61 %), mais leur importance relative est en baisse depuis dix ans. Les émer-gents sont surreprésentés dans les télécoms (38 % de la capitalisation mondiale), mais peu présents dans les autres secteurs de haute technologie. Les Européens règnent en maîtres sur le secteur de l’électricité, très fragmenté aux États-Unis. Il y a un an, les cinq premières entre-
prises mondiales étaient encore toutes améri-caines (ExxonMobil, GE, Microsoft, Citi et AT&T) ; aujourd’hui, elles ne sont que deux (ExxonMobil et GE), aux côtés de PetroChina, Gazprom et China Mobile. Nicolas Véron met également en avant l’internationalisation des grandes entreprises américaines, qui dévelop-pent un commerce avec le reste du monde supérieur de 15 % à celui de l’Europe. Elles sont également plus nombreuses à pratiquer des fusions, notamment à l’étranger. 

 En comparant les entreprises américaines et européennes, on constate que les grandes entreprises européennes sont de plus en plus âgées. L’âge médian des 100 premières entre-prises est de 130 ans en Europe, un chiffre supérieur de trente ans à celui des États-Unis. Seules 12 entreprises européennes sur les 154 du Top 500 mondial sont nées après 1950, alors qu’aux États-Unis, elles sont 51 sur 174. En Europe, seules 3 de ces entreprises sont nées après 1975, contre 26 aux États-Unis. Certes, l’âge avancé des grandes entreprises européen-nes n’est pas en soi un problème et montre qu’un grand groupe peut avoir la faculté de se réinventer. Il est vrai que les champions euro-péens ont su dépasser les limites de leur marché domestique et réaliser ces dernières années des profits spectaculaires. 

Cette caractéristique peut cependant susciter quelques préoccupations. L’heure est à la différenciation des segments des chaînes de valeur, à la spécialisation stratégique à travers des dynamiques d’externalisation et de délocali-sation complexes. La diversité des stratégies gagnantes doit de plus en plus s’inscrire dans un environnement de « destruction créatrice » décrit il y a plus d’un demi-siècle par Joseph Schumpeter, à travers lequel les acteurs moins performants doivent disparaître pour que d’autres puissent émerger et que l’économie dans son ensemble puisse progresser. Plusieurs recherches récen-tes6 fondées sur l’observation de données individuelles d’entreprises tendent à confirmer que les économies les plus « schumpétérien-nes » sont aussi celles qui, toutes choses égales par ailleurs, croissent le plus vite. Or, à mesure que les jeunes géants des pays émergents se déploieront sur les mêmes marchés que les nôtres, il sera essentiel de faire preuve de capa-cité de renouvellement. Il n’est donc pas déplacé d’envier les États-Unis et leurs nombreux grands groupes nés après 1950.                                                            

On peut expliquer la supériorité des entreprises américaines en plusieurs points. Tout d’abord, la domination technologique des États-Unis est inséparable de la performance de leurs meilleu-res universités, qui génèrent à la fois des projets et des entrepreneurs. Le reste de l’écart relève pour l’essentiel d’activités de services, où la faiblesse relative de l’Europe tient à deux facteurs principaux : d’une part, le morcellement de ses marchés, soumis à un entrelacs de réglementations nationales ; d’autre part, le faible développement de son secteur financier au service des PME. Les aspects culturels comptent aussi, les Européens privilégiant souvent l’industrie dans la représentation de l’économie, comme en atteste l’appel récurrent à la « réindustrialisation » pour réparer les effets des restructurations.  

*

La « superpuissance de la mondialisation » est aujourd’hui à un carrefour de son histoire : sa domination dans les domaines stratégique, mili-taire, économique ou culturel s’érodent, et les recettes plus ou moins anciennes, qu’il s’agisse du « soft power » ou de la surconsommation économique ou financière, fonctionnent de façon moins opérante. Un défi attend désormais les États-Unis à l’orée du XXIe siècle, comme l’indi-que en partie la crise financière. En temps de crise, les individus comme les entreprises ont tendance à se tourner vers l’État. Par ailleurs, en dépit de l’européanisation et de la mondialisa-tion, les institutions considérées comme efficaces demeurent nationales. Il semble donc cohérent que la crise actuelle induise un repli sur l’État-nation, entraînant une re-fragmentation de l’espace économique. Le résultat en serait certainement un jeu à somme massivement négative. Une crise très lourde, en termes économiques, paraît dès lors inévitable en cas d’absence d’instances de régulation supranationales fiables. Il semble ainsi fondamental que la nouvelle administration américaine puisse participer à cette initiative de refonte des règles de la mondialisation et renonce à la tentation protectionniste, sous peine de remettre en question son leadership.

 


(1) Ce dossier a été rédigé  à partir des interventions de Pierre Mélandri (professeur d’histoire à l’IEP de Paris), Frédéric Martel (sociologue et rédacteur en chef de nonfiction.fr), Eric Chaney (chef économiste du groupe AXA) et Nicolas Véron (économiste au centre de réflexion européen Bruegel) lors du Rendez-vous de la mondialisation du 17 décembre 2008 présidé par Jacques Mistral (professeur d’économie et directeur des études économiques de l’IFRI).
(2) Pierre Hassner, « États-Unis : l'empire de la force ou la force de l'empire »,  Cahiers de Chaillot, sep-tembre 2002, n° 54, p. 43.
(3) Samuel  Huntington,  Le Choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997 (édition originale : 1996).
(4) Joseph Nye, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.
(5) Caballero R. J., Farhi E. et Gourinchas P.-O. (2008), « An Equilibrium Model of “Global Imbalances” and Low Interest Rates », American Economic Review, vol. 98, p.358-393.
(6) Voir les modèles de croissance endogène dévelop-pés à partir du début des années 1990, notamment dans Aghion P. et Howitt P. (1992, actualisé en 2002), « A model of growth through creative destruction », Econometrica, vol. 60, p. 323-351

 

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