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Mondialisation

Dossier n° 13 - Quelle gouvernance mondiale après la crise ?

01/05/09

La conjonction de multiples crises en 2008 (crise financière contaminant l’économie réelle, crise de l’énergie sur fond de crise écologique annoncée, crise alimentaire) suggère l’existence de graves dysfonctionnements au sein de la gouvernance mondiale. Ceux-ci résultent de l'obsolescence d’un certain nombre de principes et d’institutions sur lesquels reposent les équilibres mondiaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aussi le besoin d’une nouvelle gouvernance mondiale s’est-il intensifié. Parmi les réponses avancées, l’instauration de nouvelles régulations, assurées par des instances rénovées ou à créer, est celle qui semble recueillir le plus de suffrages. Un tel choix nécessite de s’interroger sur le rôle des États, de la hiérarchie des institutions, des pays les moins avancés (PMA) et de la société civile dans cette nouvelle gouvernance mondiale d’après-crise

 

LES ÉTATS AU SECOURS DE LA NOUVELLE ARCHITECTURE FINANCIÈRE MONDIALE

Pour Michel Aglietta, la crise résulte de ce que la « valeur actionnariale » a été érigée en principe de régulation des revenus et d’accumulation du capital. Cette situation a conduit à la suppression des contre-pouvoirs limitant les inégalités sociales et a rompu le lien entre salaire réel et productivité. La finance s’est ainsi transformée en
« prédateur » de l’économie, sur fond de distorsions dans l’économie mondiale (demande excessivement dépendante de l’endettement des ménages en Occident, croissance faible des pays développés à faible endettement des ménages et dépendance à l’export, excès d’épargne des pays émergents d’Asie de l’Est et des pays pétroliers). Le retour à une croissance mondiale viable passe, selon l’universitaire, par l’inversion de cette logique,  via des mesures fiscales en faveur des faibles revenus, des investissements publics dans la formation, l’orientation du financement à long terme vers les innovations dans les pays développés et une croissance plus autocentrée chez les grands émergents.  

Plus généralement, le problème fondamental auquel se heurte la gouvernance monétaire internationale est la disparité des vues politiques sur les monnaies ; disparités entre des Européens sans doctrine sur l’euro, des Américains désireux de conserver le statut de devise clé du dollar et des Chinois soucieux de préserver la valeur réelle de leurs actifs à l’étranger (deux tiers en dollars). Un système monétaire et financier stable, une intégration financière profonde et une autonomie des politiques économiques étant incompatibles, l’intégration financière devra être limitée par l’impératif de stabilité. Au sein du système monétaire international, trois évolutions pourraient s’esquisser : la formation d’une zone monétaire régionale en Asie, l’émergence d’un embryon de gouvernance mondiale centré sur le FMI (lieu de détection des risques endogènes et forum de concertation sur les changes et les déséquilibres globaux) et le multilatéralisme de l’équilibre des pouvoirs (remodelage des quotas et droit de vote en faveur des grands émergents, suppression de la minorité de blocage d’un seul pays, promotion du Droit de Tirage spécial en actif de réserve).

Ces questions macroéconomiques n’ont pas été abordées par le G20, qui s’est cantonné à la régulation financière. De nombreuses failles du système de régulation financière ont favorisé l’éclatement de la crise actuelle. Tout d’abord, la régulation et la supervision sont dominées par une logique micro prudentielle, au détriment des préoccupations macro prudentielles (postulat que le contrôle du risque par les banques garantit la stabilité du système).

Par ailleurs, la règlementation bancaire a favorisé la capture du régulateur par les régulés (promotion des modèles internes, agences de notation dans Bâle II). Les régulateurs de marché ont également été indifférents aux arbitrages règlementaires et ont laissé faire les titrisations en cascade. La gouvernance a ainsi failli dans tous les domaines (incitations à l’excès de levier, conflits d’intérêts, opacité et asymétrie d’information entre initiateurs et preneurs de risques). Les désordres financiers ont de surcroît été exacerbés par les mouvements de capitaux internationaux liés à l’activité des places offshore

et au système de semi-étalon dollar. Afin d’éviter que des crises financières analogues à celle que nous traversons se reproduisent, des réformes doivent être mises en place dans deux directions. Tout d’abord, estime Michel Aglietta, il est impératif que les banques centrales changent de doctrine monétaire. La question de la régulation macro prudentielle passe en effet par le renforcement du pouvoir des banques centrales en leur assignant un rôle de garant de la stabilité financière au même titre que celui de garant de la stabilité des prix. Il est également tout aussi important, selon Michel Aglietta, de créer des contre-pouvoirs empêchant la capture des régulateurs et la mauvaise gouvernance des superviseurs bancaires, des régulateurs de marché et des actionnaires institutionnels.

Bien que le communiqué du G20 ait annoncé la mobilisation de 1 100 milliards de dollars (Mrds) de ressources pour résoudre la crise, cet apport financier était déjà décidé. Les engagements nouveaux s’élèvent à 100 milliards. Michel Aglietta relève cependant plusieurs avancées : le triplement des ressources du FMI et l’assouplissement de sa doctrine sur les conditionnalités d’octroi de prêts, l’annonce de 250 Mrds de financement supplémentaires du commerce international dans les deux prochaines années et des engagements nouveaux de prêts des banques multilatérales de développement (pour un montant de 100 Mrds).

Pour autant, le FMI n’annonce pas d’engagements nouveaux. L’efficacité de la relance du commerce international par l’accroissement de son financement n’est dès lors pas acquise et les 250 milliards sont seulement « espérés ». La décision d’accroître les prêts des banques multilatérales de développement aurait été prise sans le G20. Les préoccupations de risque systémique ont bien été prises en compte par le G20 (régulations de tous les outils financiers à incidences systémiques, y compris les hedge funds, renforcement des pouvoirs du Financial Stability Forum, transformé en Financial Stability Board). Mais les mesures annoncées ne vont pas assez loin, à en croire Michel Aglietta. En Europe, l’efficacité de résolution des faillites bancaires transnationale est obérée par la fragmentation de la supervision qui n’a pas d’organe de coordination suffisant. Ainsi n’y a-t-il eu aucun accord sur le partage du coût de sauvetage d’une banque transnationale. Par ailleurs, on ne remarque aucune avancée concrète en matière de réforme du FMI. En outre, le G20 ne marque pas la fin des paradis fiscaux mais, tout au plus, un freinage possible de l’évasion fiscale. Enfin, rien n’a été dit des nettoyages rapides des bilans bancaires, de l’éradication des déséquilibres financiers globaux, de l’évolution du SMI ou de la gestion concertée des changes.

 

LE MAINTIEN DU PAYSAGE INSTITUTIONNEL EXISTANT  

Ces trente dernières années ont été marquées par une forte création de richesses, dans le cadre d’un système économique mondial de plus en plus intégré. Il en a résulté d’importantes mutations économiques et financières. À partir des années 1970, les mécanismes de réglementation se sont progressivement délités. Le besoin de concertation entre nations s’est accru, si bien que le G5 s’est mué en G7 puis en G8. Dans le contexte actuel, le format du G20 apparaît comme la seule issue possible, en dépit de difficiles prises de décisions à l’unanimité et du risque de désignation de boucs émissaires.

Mais il témoigne, selon Philippe Moreau Defarges, de la volonté de maintien du système en vigueur, lequel demeure marqué par la prégnance des États et leur interdépendance.    En effet, si la crise des années 1930 a en partie engendré la « constellation onusienne » (ONU, FMI, Banque mondiale), la crise actuelle risque de ne pas déboucher sur une nouvelle gouvernance, le paysage institutionnel étant déjà  suroccupé. De plus, si les États jouent aussi leur survie au sein de la gouvernance planétaire, Ils disposent de moyens qui ne sont, pour le moment, à la disposition d’aucune autre entité. Que l’on pense au contrôle exclusif d’un territoire ou de sa population, à l’appareil politicoadministratif de prélèvement et de mobilisation de ressources considérables ou au pouvoir normatif. Pour les États, le défi est historique, et les négociations du G20 ont été âpres, chacun étant obsédé par ses difficultés internes et par les résultats tangibles à présenter à son opinion publique. L’esquisse d’une politique de relance globale est toutefois une première. Elle laisse présager un certain processus de « globalisation des États », selon le chercheur de l’IFRI.

Philippe Moreau Defarges souligne l’intérêt que revêt l’analyse de la « face cachée » du G20, tant sur le plan des arrière-pensées politiques et des questions éludées que de l’absence de certains acteurs. Les États-Unis semblent ainsi évoluer du statut de puissance gardienne des équilibres du monde à celui de « premier de la classe ». Le poids de leurs priorités nationales (relance de l’économie américaine, gestion de leur endettement) rend cependant très difficile la promotion d’une vision désintéressée du monde et réduit leur capacité à s’imposer. De son côté, la Chine veut s’affirmer comme grande puissance du système économique mondial mais manque encore, sans doute, de vision et d’instruments pour exister sur la scène d’un nouvel ordre mondial. Par ailleurs, le problème de la restructuration du système bancaire et financier n’a pas été discuté, les États ayant certainement beaucoup à y perdre. L’importante question des migrations n’a pas non plus été évoquée. Enfin, les financiers – notamment les banquiers –, les « États-voyous », les paradis fiscaux ou les contestataires du G20 n’avaient pas de représentants.  

Cette oscillation entre avancées et manques (ou manquements) ne rend pas caduque la nécessité d’édifier une gouvernance planétaire démocratique, mais le chemin à parcourir reste long, selon Philippe Moreau Defarges, et peuplé d’imprévus, de détours et de possibles crises étatiques.

 

LA FAIBLESSE DES PMA  DANS LA GOUVERNANCE MONDIALE

Si la réunion du G20 a conduit à des avancées notables en matière de concertation internationale, Philippe Hugon estime qu’on ne peut véritablement parler de l’émergence d’un nouvel ordre mondial incluant les pays moins avancés (PMA) dans la gouvernance. Alors qu’ils sont fortement touchés par la crise, les PMA sont les principaux oubliés du G20. En dépit de la réaffirmation des  Objectifs du millénaire, de la volonté d’atteindre un niveau d’aide publique au développement (APD) de 0,7 % du PIB ou du triplement des réserves du FMI (lesquelles permettront de renégocier la dette des pays pauvres), les 20 milliards de dollars manquant aux engagements de Gleneagles sont à considérer au regard des 5 000 milliards de dollars des plans de relance internationaux.  

Les PMA ne sont pas au cœur des réformes et ne sont pas non plus à l’épicentre de la crise. Cette dernière se vérifie par ailleurs de manière très variable selon le niveau d’endettement ou la spécialisation des pays les moins avancés. D’une manière générale, la crise infléchit cependant leurs trajectoires économiques et sociales par le biais de trois canaux de transmission :  le canal commercial et productif, car la baisse des prix et de la demande des produits exportés se répercute sur les capacités d’investissement et les recettes budgétaires ;  le canal financier, car les transferts des migrants et l’APD sous forme de dons et les investissements directs à l’étranger sont en baisse, ce qui limite les capacités de financement et d’accès au crédit pour le service de la dette ; l’instabilité des prix, qui entraîne une forte volatilité des recettes budgétaires.

Par ailleurs, les liens commerciaux avec les grands pays émergents ont pris une telle importance pour les PMA que l’impact de la crise sur leurs relations avec ces pays constitue un enjeu central. Le sommet de Londres aura-t-il quelques retombées pour les PMA ? À cette question, Philippe Hugon répond que le G20 aura moins d’impact sur le système financier des PMA que sur celui des autres pays, plus sophistiqué.

Audelà du renforcement du poids du FMI, le changement de pratiques en matière de conditionnalités devrait cependant être plus favorable aux PMA. Pour autant, la proposition avancée par Dominique Strauss-Kahn de leur verser un pourcentage des plans de relance des pays industrialisés et des pays émergents n’a pas été reprise. De plus, il n’y a pas eu de remise en question du critère de décision au sein du FMI (« 1 dollar, 1 voix »). On peut, dans un même ordre d’idées, penser qu’une Afrique parlant d’une seule voix au sein de cette structure mais également à l’OMC ou à la Banque mondiale, pourrait faire avancer l’intégration des PMA dans la gouvernance mondiale. L’édification d’une architecture internationale incluant les pays les moins avancés paraît dès lors nécessaire, les pays industriels étant de toute façon concernés par les nuisances venant des pays les plus faibles (risques épidémiologiques, terrorisme, conflits, etc.). Philippe Hugon entrevoit dès lors plusieurs pistes : la sécurisation de l’accès aux capitaux pour les PMA, notamment à des fins de politiques contra-cycliques ; la mise en place de fonds de stabilité compensant la volatilité des cours des produits de base ; la prise en compte des handicaps structurels des PMA dans la gouvernance commerciale mondiale, l’amélioration de leur insertion dans les organisations internationales et leur intégration dans les négociations environnementales de Copenhague (ce afin de valoriser leur biodiversité, leur capacité de captation de carbone et pour dédommager ceux qui souffrent le plus des gaz à effet de serre émis par les pays développés).

L’économiste souligne, enfin, la nécessité de renforcer la gouvernance régionale, notamment par le biais de fonds monétaires régionaux et de banques régionales de développement.  

 

LA « SOCIÉTÉ CIVILE INTERNATIONALE » EXISTE-T-ELLE ?

Chercher à dessiner les contours de la gouvernance mondiale implique de ne pas seulement se concentrer sur les États ou les institutions internationales. La référence à la « société civile internationale » semble ainsi de plus en plus s’imposer comme le passage obligé de ce type d’exercice.
Omniprésente dans la plupart des discours sur la globalisation, qu’ils soient hostiles ou favorables, et avancée le plus souvent sur le mode de l’évidence, elle n’en demeure pas moins difficile à manier pour qui voudrait le faire avec rigueur.

Profondément polysémique, la notion de société civile internationale se caractérise avant tout par l’imprécision de ses frontières. Il semble cependant établi, comme le souligne le politiste Jean-François Bayart, qu’elle est aussi ancienne que la mondialisation, ce phénomène avec lequel elle a partie liée. On la devine ainsi sans mal dans cette « nouvelle conscience du monde » qui, à la fin du XVIIIe  siècle, s’incarnait entre autres dans le mouvement abolitionniste ou dans l’engagement de Lord Byron en faveur des patriotes grecs.  

Conceptuellement suspecte car versant parfois dans une conception anthropomorphique du social, la société civile internationale est par ailleurs d’autant plus difficile à définir, si l’on suit Jean-François Bayart, que les multiples usages dont elle est l’objet tendent à masquer un certain nombre de tensions et d’intérêts opposés.                       On renverra pour plus de détails à Jean-François Bayart,  Le Gouvernement du monde.

Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004. En témoigne la variété de ses soutiens, qui rassemblent paradoxalement tant des « pro » que des « alter » mondialistes.  Une autre difficulté tient à ce que, ces dernières années, un certain imaginaire collectif a fait des organisations non gouvernementales (ONG) investies dans la santé, la défense des droits de l’Homme ou celle de l’environnement, les fers de lance de cette « société civile » mondialisée. Or, loin de constituer un ensemble homogène, le monde des ONG charrie un certain nombre de représentations idéalisées qui occultent le fait, selon Jean-François Bayart, que ces structures sont avant tout des
« machines de pouvoir » et des bureaucraties générant leurs propres notables. Les ONG sont en outre moins transnationales que le laisse entendre le sens commun, leurs membres étant souvent fortement inscrits dans des réseaux nationaux

Cette dernière caractéristique peut d’ailleurs éclairer les relations ambivalentes entretenues par certaines de ces organisations avec des régimes en mal de respectabilité sur la scène internationale.  De manière relativement concrète, les ONG – et par conséquent, la société civile internationale qu’elles sont censées incarner – peuvent se voir reprocher la part prise dans une forme d’externalisation de certaines fonctions étatiques .

Spécialisées dans l’administration indirecte des marges de la globalisation, pour reprendre les termes de Jean-François Bayart, elles participeraient ainsi à la dépolitisation de problèmes majeurs (la lutte contre la pauvreté, par exemple), rendus au simple statut de questions techniques. Pour autant, les récentes prises de position de certains chefs d’État ou les conclusions du sommet du G20 à Londres ne laissent-elles pas présager un retour du politique et, dans le même mouvement, un déclin, même relatif, de la société civile internationale ?  


(1) Ce dossier a été rédigé à partir des analyses présentées par Michel Aglietta (professeur d’économie à l’université Paris-X et conseiller au CEPII), Philippe Moreau Defarges (chercheur à l’IFRI), Jean-François Bayart (directeur de recherche CNRS au CERI) et Philippe Hugon (professeur émérite d’économie à l’uiversité Paris-X) lors du  Rendez-vous de la mondialisation du 9 avril 2009, animé par Christian Chavagneux (rédacteur en chef adjoint d’Alternatives économiques).

(2) On renverra pour plus de détails à Jean-François Bayart,  Le Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004.  

(3) Voir à ce sujet Béatrice Pouligny, « L’émergence d’une société civile internationale ? Processus, acteurs, njeux », dans Les Associations et l'Europe en devenir / Associations and Emerging Europe, Paris, La Documentation française, 2001, p. 101-107. (4) Certains auteurs évoquent ainsi un phénomène plus général de « privatisation des États ». Voir, par exemple, Béatrice Hibou (dir.),  La Privatisation des États, Paris, Karthala, 1999.

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